• BHL et le syndrome de Zorro

    BHL et le syndrome de Zorro

    Nous connaissons tous le syndrome de Peter Pan, caractérisant le refus de grandir. Si votre copain de 50 balais se prend d’une envie soudaine de jouer avec des soldats de plombs, vous pouvez soupçonner quelque atteinte par ce syndrome de l’éternelle enfance. Avec BHL, nous pourrions déceler un nouveau syndrome, celui de Zorro, plus sérieux, presque philosophique en vérité.

    Dans un précédent billet, j’avais évoqué un côté Don Quichotte chez le plus détesté des intellectuels français. Un internaute me fit remarquer que dans le roman de Cervantès, il y avait des moulins à vent et donc, que mon propos était illégitime. En fait, il y a bien chez Don Quichotte cette propension à parcourir le monde en rêveur idéaliste et absurde, en se positionnant comme justicier. Don Quichotte, selon les analyses de Benoît XVI, incarne le chevalier devenu fou, après la liquidation du monde médiéval. La porte vers le passé s’est refermée. Le moment est machiavélien. L’autorité théologale est transférée à celle du prince et sans doute, désarçonné par une telle responsabilité, le chevalier épris de vertu et de justice devient fou. Il est tourmenté par la roue d’Ixion qui se projette telle un moulin à vent symbolisant les tourments de l’âme qui cherche la Loi après le règne des cléricaux. La porte du séminaire s’est refermée, entraînant le monde médiéval dans le repli des parchemins, avec son monde clos et ses règles théologiques strictes.

    On pourra trouver quelques points communs avec BHL, clerc qui refusa le séminaire et ses conventions néo-scolastiques pour parcourir le monde et se proposer comme justicier. BHL a refusé les doctes voies de la philosophies spéculative. Sans doute n’en ressentait-il point le désir, ni l’ambition, conscient de ne pas être à la hauteur ou bien de s’enfermer dans une carrière toute tracée sous réserve qu’on suive les règles imposées par les maîtres. Obéir, ce n’est pas le style de BHL et c’est même l’inverse, BHL aime qu’on lui obéisse, qu’on opine dans son sens. Sa folie est de ne pas être fou comme Don Quichotte et de prétendre connaître la justice. BHL se refuse à être un philosophe révolutionnaire. Sartre fut son anti-modèle, jusqu’à ce qu’il tente de le dézinguer pour finir par comprendre qu’il lui ressemblait, au fond. Ni révolution, ni spéculation, telle serait la maxime de BHL. Autrement dit, ne pas tenter de comprendre le monde en s’enfermant dans un séminaire ontologique au risque de se couper du monde mais pas question de le transformer pour autant en empruntant la simplification idéologique. Le monde doit être réparé, tel est l’objectif affiché par BHL dont on peut dire qu’avec Nietzsche, il partage le refus de l’ontologie et du marxisme, voyant chez Kant le refus de la vie et chez Marx la vie complètement faussée. Ainsi, BHL, tout comme Nietzsche, assigne à la philosophie une mission thérapeutique. Diagnostiquer les maux du monde pour mieux le soigner.

    Dans les temps médiévaux, il y avait deux types de savants religieux. Les uns à méditer sur les sentences, les Ecritures, épris de vérité et de disputes jouées dans les premières universités, les autres, missionnaires, prédicateurs ou croisés, porteur de combats et de messages pour le monde. C’est cette seconde voie qu’a choisie BHL qui s’enorgueillit de quelques réussites persuasives, introduisant le chef bosniaque Izetbegovic auprès de Mitterrand ou d’avoir soustrait la « bourgeoise vieille France » Ségolène Royal à l’influence du conservatisme de Jean-Pierre Chevènement. Il fallait combattre, dixit BHL, l’antiaméricanisme, le communautarisme et l’antisionisme. Dans les années 1970, c’était du communisme dont il fallait guérir la France. Il y a quelque chose de l’exorciste chez BHL, avec cette propension à désigner le malin et à l’extirper de la société au prix d’ouvrages bien ciselés et surtout d’apparitions télévisées savamment ciblées. L’ontologie et la vérité qui va avec n’est pas le souci de BHL, ce justicier déguisé avec le masque de Nietzsche et maniant le verbe comme une épée prédestinée pour une saignée moralisante censée purifier la France du sang moralement impur qui s’insinue dans les mauvaises pensées du moment.

    Qui donc est BHL ? Un partisan, un prosélyte, un prédicateur, un essayiste, un provocateur, un propagandiste, un homme influent qui aime se voir influent et influencer la société pour la réparer. BHL est a lui seul un think tank qui, se mettant au service de cause qu’il choisit, se transforme en spin doctor pour mener le juste combat. Tel un Zorro échappé d’un bureau cossu, il débarque, en Bosnie, en Israël, au Soudan et récemment en Géorgie puis en Suisse. Il devient le communicant des puissants. Mais dans Zorro, le scénario est écrit dès le départ. On connaît les méchants et le justicier masqué qui va venger les opprimés. Le problème avec BHL, c’est qu’il doit construire un discours permettant de châtier verbalement les méchants et le cas échéant, déclencher l’action des politiques et la force de frappe, comme en Serbie dans les années 1990. Dieu merci, BHL n’est pas au pouvoir, sinon, nous serions peut-être en guerre avec la Russie pour défendre Sakkachvili, le gentil démocrate formé aux universelles valeurs occidentales.

    Philosophe BHL ? Tout dépend ce qu’on entend par ce terme. Si un philosophe est un type qui réfléchit sur le monde en écrivant des pensées, alors BHL est philosophe, mais pas plus que Camus. On lui reconnaîtra néanmoins une fibre philosophique à travers ses premiers livres qui eurent le mérite de faire réfléchir sur l’existence et de débattre de la condition humaine. C’est par la suite que BHL a attrapé le syndrome de Zorro. Mieux vaudrait dire que BHL se sert de la philosophie pour défendre des causes. Quoique, il se peut bien qu’à travers ses combats, BHL cherche qu’à ne défendre que lui-même, son image, son influence, à s’assurer de la présence des médias afin de conforter son narcissique exacerbé. Sur son blog, il ne s’est pas privé d’annoncer toutes ses apparitions dans les journaux, télés et radio, pour parler de ses deux derniers chefs-d’œuvre parus chez Grasset. Autant on peut comprendre qu’un jeune premier des lettres, Florian Zeller par exemple, ose ce genre de promo, autant cela paraît ridicule de la part d’un sexagénaire que les médias n’ont pas boudé depuis ses premières prestations chez Pivot.

    BHL se sert de la philosophie. C’est pour cette raison qu’il boude Kant, ce fantôme de l’abstraction conceptuelle, dont l’œuvre ne sert à rien et surtout pas à démontrer que Medvedev est un méchant et que Tsahal est la plus éthique des armées. Il fut un temps où le titre de philosophe était accordé par ses confrères à un professionnel de la pensée, enseignant au lycée ou mieux encore, un scientifique cherchant à l’université et diffusant le fruit de ses travaux conceptuels, ou encore mieux, un type qui carrément a créé une conception du monde construite comme une cathédrale d’idées. En général, il faut du temps pour introniser un penseur. Le problème, c’est que le titre de philosophe, qui plus est, nouveau, a été conféré à BHL par les médias. Et c’était bien là le signe d’une époque naissante. Ces mêmes médias qui en 2010, après avoir fait de l’homme en chemise blanche le roi de la philosophie, se prennent à jouer les bouffons, se moquant du roi qui s’est glissé une peau de Botul sous les pieds, mais sans pour autant détrôner le roi. Et ce sont encore les mêmes qui ont fabriqué de toutes pièces une potentielle présidente de la République dès 2006. S’il y avait quelques reproches à faire pour dénoncer une notoriété surfaite, alors ce ne serait pas tant au philosophe entarté qu’aux médias qui l’ont fabriquée, ces médias qui aussi on fabriqué la pandémie de grippe et dont il faudrait s’inquiéter.

    On complètera ce portrait en faisant un détour théologique. Il fut un temps où la théologie pensait que Dieu avait créé le monde. Juste après la Renaissance, les peintres maniéristes se mirent en quête d’imiter de belle manière la nature. Taddeo Zuccari, peintre et philosophe esthéticien italien du 16ème siècle, qui a bien existé contrairement à Jean-Baptiste Botul, avait conçu l’homme à la ressemblance de Dieu, lui accordant la faculté de créer un autre monde intelligible et de rivaliser avec la nature. Ainsi fut interprété le geste maniériste comme l’art de produire une représentation intérieure et de former un monde nouveau (Panofsky, Idea, p. 109) Ne pourrait-on dire que notre Zorro de la philosophie est à l’image du peintre maniériste, conçu à l’image de Dieu mais en l’occurrence, il s’agit du Dieu vengeur et justicier, du Dieu porteur le la Loi qu’on trouve dans l’Ancien Testament. En ce sens, BHL produit dans son intérieur une représentation du tribunal de Dieu et ce n’est pas lui faire injure que de lui signaler que l’idée du jugement dernier l’obsède à un point hautement transcendantal. De là, quelques connivences avec l’Etat d’Israël et le goût pour le Talmud, ce livre énigmatique plus compliqué que le code civil républicain, ce livre qui prétend régir l’intégralité de la bonne et juste vie. Bref, une mauvaise fréquentation littéraire pour ce philosophe qui, n’ayant pas trop de goût pour la spéculation ontologique, n’ira pas s’encanailler avec le Zohar et la Kabbale, contrairement à Pic de la Mirandole, autre philosophe de la Renaissance.

    BHL s’inscrit parfaitement dans la culture judéo-chrétienne. On n’imagine pas un BHL en Chine ou au Japon. Dans ce pays rompu à l’art du bushido, BHL est un inconnu alors qu’Alain Delon est une star. Ce qui est normal, Delon ressemble à un samouraï et son regard profond rappelle sans doute aux Japonais celui des kamikazes froidement déterminés à aller se suicider contre les navires américains. Mais BHL aura sa revanche et gageons qu’avec son aura de Zorro, il saura inspirer quelque personnage de manga et deviendra aussi célèbre qu’Alain Delon au Japon.

    En fin de compte, la moquerie ne fait pas avancer la connaissance. Il est de bon ton de dénigrer BHL. Pourtant, son propos est loin d’être insignifiant et sa prose est bien stylée, comme j’ai pu m’en apercevoir en parcourant chez un libraire son traité sur la guerre en philosophie. Le problème de BHL est qu’il prend trop de place dans les médias. Mme Pearl disait que son ego tue son intelligence. On peut aussi dire que sa notoriété l’expose à être flingué sans égard pour ses contributions intellectuelles souvent intéressantes, autant que les explorations de Jean-Luc Marion visitant Descartes comme un musée.

    BHL dit de lui-même qu’il recèle une énigme. Un improbable ou impossible saut par-dessus le siècle de Heidegger, c’est du moins ce que j’ai compris. BHL confirme ce que je pressentais, son goût pour Nietzsche, pour la philosophie de la vie et le dédain de la phénoménologie comme accès aux essences du monde par la suspension du jugement. Il y a aussi une énigme chez Husserl, une possibilité comme le savait Heidegger. Bien avant, Kant avait déjà pointé cette séparation entre ceux qui ont la compréhension du monde et ceux qui en ont l’usage. BHL a choisi l’usage du monde et ne s’en cache pas. L’expérience est riche d’enseignement mais il y a au bout du chemin la justice, comme l’énonce ce qui, d’après Heidegger, serait la première sentence philosophique de l’Occident, signée Anaximandre. Les hommes agissent et se rendent justice à la fin des temps. C’est la loi du karma pourrait-on penser. BHL, incarnation du karma, inkarmation ! Zorro a tombé le masque. Les philosophes se jouent dans un miroir. Heidegger a entendu comme justice la vérité que cherchait Nietzsche. En ce sens, BHL est bien en deçà de Nietzsche en laissant de côté la quête de vérité au profit de celle de la justice. Descartes, je pense donc je suis, Nietzsche, je vis donc je suis, BHL, je juge donc je suis.

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