• FUKUSHIMA (suite 25) INQUIETUDES DE PHYSICIENS ASIATIQUES2

    FUKUSHIMA (suite 25) INQUIETUDES DE PHYSICIENS ASIATIQUES2

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    Vendredi 1er avril. 18h40. Voici la traduction, comme promis dans le blog du mardi 29 mars (FUKUSHIMA (suite22) INQUIETUDES DE PHYSICIENS ASIATIQUES (1)) de la tribune récemment écrite par trois physiciens spécialistes du nucléaire (notamment en matière de sécurité et d’armement) et titrées « Leçons de Fukushima », parue à l'origine sur le site http://www.dawn.com/2011/03/27/fukushima-lessons.html.

    Les leçons de Fukushima

    par A.H. Nayyar, M.V. Ramana & Zia Mian

     

     Le séisme et le tsunami survenus en mars au Japon ont déjà fait plus de  10 000 morts, et quelque 17 500 personnes sont toujours portées disparues.

    Cette catastrophe a été aggravée par la menace persistante de contamination radioactive étendue due aux  accidents survenus dans les quatre réacteurs nucléaires sur le site de Fukushima-Daiichi et les piscines contenant  leur combustible nucléaire usagé encore chaud et intensément radioactif. Quand bien même cet accident nucléaire arriverait à être jugulé, il est porteur de nombreuses leçons pour l’Asie du Sud.

    L’Asie du Sud dépend de plus en plus du nucléaire pour son énergie. L’Inde possède 20 réacteurs nucléaires en activité, plusieurs autres sont en cours de construction et il est prévu que leur nombre augmente largement dans les décennies à venir. Le Pakistan possède deux centrales nucléaires en activité, la construction d’une autre est quasiment terminée et de nombreuses autres sont prévues dans  les 20 prochaines années. Les deux pays ont également des réacteurs dans le cadre de leur programme d’armement nucléaire. Le Bangladesh et le Sri Lanka ont pour projet de construire leurs premiers réacteurs nucléaires.

    La première leçon, formulée à l’intention du public et des décideurs d’Asie du Sud, est que   les autorités nucléaires sous-estiment   la probabilité et la gravité des accidents possibles. Les réacteurs de Fukushima n’étaient pas prêts à faire face à  un séisme et un tsunami d’une telle ampleur. Un mois avant l’accident, la centrale de Fukushima avait reçu l’autorisation  de fonctionner 10 années de plus. La compagnie Tokyo Electric Power (TEPCO), l’entreprise propriétaire et opérateur des réacteurs, l’agence japonaise de sûreté nucléaire et le gouvernement japonais s’étaient tous persuadés que  les réacteurs ne présentaient aucun danger.

    Les autorités nucléaires d’Asie du Sud manifestent visiblement la même confiance. Après l’accident survenu au Japon, S.K. Jain, président de la Nuclear Power Corporation indienne a déclaré : “En Inde, nous possédons une connaissance totale des activités sismiques. Nous avons pris en compte dans nos conceptions les pires événements sismiques et tsunamis.” Les autorités nucléaires japonaises ont sans aucun doute pensé la même chose avant Fukushima.

    De même, la  Commission pakistanaise de l’énergie atomique a déclaré que la sûreté de ses réacteurs était contrôlée par des experts étrangers, notamment ceux de la  World Association of  Nuclear Operators (WANO), ce qui n’est pas fait pour rassurer : la Tokyo Electric Power Company (TEPCO) est membre de la World Association of Nuclear Operators.

    La deuxième leçon est que les catastrophes naturelles extrêmes ne font qu’augmenter la probabilité  d’accidents nucléaires. Les accidents de Tchernobyl en Union soviétique en 1986, de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979, de Windscale au Royaume-Uni en 1957 et de Chalk River au Canada en 1952 n’ont pas été déclenchés par des catastrophes naturelles.

    Les séismes augmentent la probabilité d’accidents de réacteurs parce qu’ils perturbent simultanément le fonctionnement d’une bonne partie des éléments de la centrale. Ils paralysent de nombreux systèmes de sûreté ou engendrent de multiples défaillances. Inondations et incendies présentent une menace. C’est un incendie qui provoqua en 1993 la panne générale d’électricité de Narora, quand l’Inde frôla de très près un accident nucléaire majeur.

    La troisième leçon est que les  accidents nucléaires sont le résultat de la nature même de la technologie nucléaire. Ils ne résultent pas nécessairement de faiblesses technologiques ni de l’absence d’opérateurs compétents. Le Japon est un pays qui dispose d’une immense expertise en matière de technologie nucléaire. La catastrophe de Tchernobyl, les accidents de Three Mile Island, Windscale et Chalk River se sont tous produits dans des pays regorgeant d’expertise nucléaire.

    Quatrième leçon, nulle conception de réacteur  ne peut prétendre assurer une sûreté totale. L’accident de Fukushima a eu lieu dans un réacteur à eau bouillante. Les cinq accidents les plus graves, antérieurs à celui de  Fukushima, se sont produits dans des réacteurs tous de conception différente. Des accidents se sont également produits dans des réacteurs expérimentaux, comme les surgénérateurs dans lesquels les autorités nucléaires indiennes sont en train d’investir.

    Cinquième leçon, augmenter les dépenses en matière de sûreté ne peut empêcher la combinaison de petites défaillances capables de  déclencher une catastrophe, et peut entraîner de nouveaux problèmes. Dans les réacteurs de Fukushima, de nombreuses défaillances des systèmes de sûreté se sont produites, certaines pour des raisons encore inexpliquées. Anticiper toute défaillance éventuelle et multiplier les systèmes auxiliaires de sécurité rendrait les réacteurs encore plus compliqués, en augmentant le nombre de leurs éléments susceptibles de tomber en panne, et encore plus coûteux à construire.

    Sixième leçon, les réacteurs nucléaires et les gens ne font pas bon ménage. Les gens peuvent être à l’origine d’accidents et les accidents ont une incidence sur les gens. L’erreur humaine chez les opérateurs a joué un rôle dans les accidents de Tchernobyl et Three Mile Island. Les ouvriers de Fukushima n’ont cessé d’être exposés à des niveaux de radiation élevés durant leur combat pour reprendre le contrôle des  réacteurs et des piscines de combustible usagé. Près de 200 000 personnes vivant dans un rayon de  20 km autour des réacteurs de Fukushima ont été évacuées ; les personnes habitant à une distance  de 20 à 30 km ont eu pour consigne de rester calfeutrées chez elles pour éviter la radioactivité. Les Etats-Unis ont dit à leurs ressortissants  se trouvant dans la  zone de s’éloigner de 80 km au moins du réacteur. On a découvert des aliments et de l’eau contaminés à 250 km du site. De faibles traces de radioactivité ont été détectées sur la côte ouest des Etats-Unis, à 8 000 km de là, après avoir traversé l’océan Pacifique.

    En Asie du Sud, certains réacteurs sont proches des grands centres urbains ou de fleuves dont les eaux sont utilisées pour l’alimentation en eau potable et pour l’agriculture irriguée. La centrale nucléaire de Karachi au Pakistan, par exemple, est implantée sur le littoral et elle est  vulnérable aux séismes et aux  tsunamis. Construit il y a plus de 40 ans, le réacteur était au départ éloigné de la ville. Actuellement, on trouve de grands ensembles à tout juste 20 km du site de la centrale. Le nord de Karachi reçoit la brise marine qui survole la centrale nucléaire. En cas d’accident, il est inconcevable que l’on puisse évacuer rapidement et en toute sécurité tous les habitants dans un rayon de 80 km autour du réacteur de Karachi.

    Dans le monde entier, les gens repensent l’énergie nucléaire. Après Fukushima, la chancelière allemande Angela Merkel, a fait remarquer que « lorsque… ce qui est apparemment  impossible devient possible et ce qui est absolument improbable, une  réalité, alors la situation change ». Elle a annoncé une « sortie mesurée » de la dépendance énergétique au nucléaire, ce qui implique la fermeture des 17 réacteurs que compte l’Allemagne. Plus l’Asie du Sud attendra, plus la construction de réacteurs augmentera  et plus il sera difficile de changer de cap.

    A.H. Nayyar est professeur de physique associé à l’université LUMS de Lahore. M.V. Ramana et Zia Mian sont physiciens ;  ils collaborent  au Programme science et sécurité mondiale, à l’université de Princeton, Princeton, E.-U.


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