• No falta dinero, sobran ladrones

    No falta dinero, sobran ladrones !

     Voilà maintenant deux semaines que le rassemblement au cœur de la capitale espagnole sur la place Puerta del Sol attire les citoyens et autres indignés ainsi que le regard des médias nationaux et internationaux. Le mouvement s'est étendu à une soixantaine de villes en Espagne et a réuni jusqu'à 130 000 personnes la semaine dernière, et devrait se prolonger au moins pendant une ou deux semaines, certains espèrent même plus, une pétition circule dans le camp de Madrid pour un sit-in à durée illimitée. Ce rendez vous citoyen fait suite à la manifestation « Toma la calle » qui a eu lieu le 15 mai dernier, elle-même provenant de la création d'un site internet « Democracia Real Ya ! » (la vraie démocratie maintenant) qui est le fruit d'un groupe de discussion sur la toile se voulant une « plateforme de coordination de groupes à mobilisation pro-citoyenne ». Mais au delà de ce sursaut aujourd'hui médiatisé, cela fait maintenant plusieurs années que la situation culturelle alternative bouillonne ici.

    L'Espagne revendicative se réveille. Comme le disait une pancarte aperçue dans Madrid, « les français et les grecs luttent pendant que les espagnols gagnent au foot ». C'est vrai que la péninsule ibérique n'a pas connu ces dernières années autant d'émeutes et de manifestations comme en France lors de l'automne 2005 ou en Grèce l'hiver 2008, et que depuis la movida des années 80 l'Espagne est un pays où par temps de crises règne un certain immobilisme ou du moins une certaine résignation, les espagnols savent encaisser et continuer à vivre et travailler avec le sourire. Mais ici il est important de souligner que l'Espagne mais plus particulièrement Madrid voit se construire depuis maintenant près d'une dizaine d'années tout un mouvement de petites entités alternatives, associations, centres culturels, comme par exemple la Tabacalera dans le quartier de Lavapiés, ancienne fabrique de tabac aujourd'hui reconvertie en un centre socio-culturel autogéré qui accueille nombreuses activités libres et ouvertes à tous et travaille en partenariat avec de nombreux acteurs sociaux. Comme en témoigne le très intéressant ouvrage de Guillaume Fourmont-Dainville : Madrid en mouvement, régénérations aux éditions Autrements paru en septembre 2009, la capitale espagnole bénéficie depuis 2004 d'une dynamique culturelle très forte et les projets concernant une vie associative en mouvement ou de type alternatif se sont multipliés. Cela fait donc plusieurs années que cette ville « bouillonne » et a préparé le terrain pour ce mouvement revendicatif. On peut également ajouter que la publication de l'ouvrage « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel tout récemment en Espagne a contribué à la protestation, les manifestants se nommant eux-mêmes les « indignados ». Et aujourd'hui un taux de chômage record, surtout chez les 18 / 25 ans où il atteint près d'une personne sur deux, et la crise économique (que les gens sur le camp appellent « arnaque économique ») constituent les éléments déclencheurs du mouvement : les espagnols sont descendu nombreux dans les rues.

     La première chose qui saute aux yeux dans ce mouvement est pour l'instant l'absence presque total de violence. Après avoir déclaré le mercredi 18 mai au travers de la commission électorale provinciale de Madrid, quatre jours avant les élections municipales et régionales, que le rassemblement au centre ville de Madrid devenait illégal et serait évacué, le gouvernement de José Luis Zapatero a eu la sagesse de ne pas réprimer le mouvement dans la force et le vendredi 20 mai à minuit, bien que les rassemblements devenaient théoriquement illégaux comme il est prévu par la loi les veilles et les jours d'élections, les autorités ont pris la décision de ne pas disperser les indignés, ce qui aurait très bien pu finir dans de violents affrontements, le mouvement étant alors en pleine effervescence, 5 jours après le début des sit-in dans les grandes villes espagnoles. Comme le soulignait un internaute alors : « les partis peuvent faire de la politique en faisant campagne, en organisant des réunions et des meetings, mais pas les citoyens eux-mêmes ! ». Le 17 mai à l'aube, alors qu'un campement avait donc été installé sur la place Puerta del Sol deux jours après les manifestations du 15 mai, les quelques centaines de personnes (entre 300 et 400) qui s'y trouvaient ont été délogées par les forces de l'ordre madrilènes, mais le soir même c'était plusieurs milliers de personnes qui sont revenus s'installer sur cette même place, l'occupant pratiquement sur toute sa surface et prouvant par la même occasion leur volonté de poursuivre ce mouvement citoyen. Un autre élément important dans cette manifestation est que, même si les organisateurs se refusent à interdire la consommation d'alcool, cette dernière y est très modérée et de nombreuses pancartes ou personnes invitent les consommateurs de boissons alcoolisés à une consommation modérée.

    Le deuxième facteur à prendre en compte avec ces mouvements est le rôle en partie fondamentale joué par internet. C'est en plusieurs étapes qu'il faut observer la construction de ce sursaut citoyen : Tout d'abord un simple groupe de discussion crée sur la toile, qui amène plusieurs exaspérés de la quasi inexistence de l'interaction entre les politiques et la population à créer un site, « Democracia real Ya ! » qui vise à devenir un think-tank (boite à idée) autant qu'un déclencheur de mouvement, avec pour date de rassemblement le 15 mai. L'adoption en février dernier en Espagne de la loi « Sinde », version espagnole de notre loi Hadopi en France visant à contrer le partage gratuit de fichiers sur internet constitue également un facteur déclencheur du 15-M.

    Il est également important de remarquer que même si de nombreux médias soulignent la « révolution espagnole » comme suite possible des révolutions du printemps arabe, géographiquement il est vrai ce pays se situant comme le pont entre l'Afrique du Maghreb et l'Europe, il y a eu un mouvement d'une certaine ampleur concernant une grande vague de protestation au Portugal au début du mois de mars : Geração À Rasca, littéralement « les générations fauchées », est un mouvement qui a fait descendre entre 300 et 400 000 personnes dans les rues portugaises, et ce dernier est finalement plus proche de celui d'Espagne que les révolutions arabes, comme le soulignait un internaute, la Puerta del sol à Madrid n'est pas la place Tahrir du Caire, il y a moins de peur et pas d'affrontements.

    Ce qui ressort de ces petits phrasés revendicatifs que l'on peut voir éclore un peu partout durant ces manifestations, c'est que tout d'abord les gens ne croient plus en l'efficacité du vote, d'ailleurs les taux d'abstention sont toujours plus forts d'élections en élections, même si pour ces dernières municipales du 22 mai ce n'est pas le cas bien que les votes blancs et nuls atteignent près d'un million de votants avec plus de 4 %. Le mouvement avait justement appelé à voter nul. On assiste donc à une perte de confiance dans le rôle que les politiques peuvent jouer ( « el bipartismo es dictatora », « le bipartisme c'est la dictature » ) ou même des syndicats d'ailleurs : lors d'un remaniement gouvernemental en septembre 2010 est entré au gouvernement comme ministre du travail une syndicaliste UGT qui une semaine auparavant manifestait contre la réforme des retraites. le bipartisme ne fonctionnant plus aux yeux des citoyens, la gauche comme la droite accouchent de bilans sociaux et économiques qui se confondent de plus en plus, toujours plus à la merci de la loi économico-financière de profits. De plus en plus de gens finissent par constater que la seule politique économique réelle menée depuis les années 80 c'est le libre-échangisme. Et aujourd'hui c'est ce modèle économique qui constitue la principale locomotive de l'évolution de nos sociétés, l'accumulation d'argent et de biens matériels apparaît comme la seule finalité de ce système, ce qui amène conjointement de nombreuses éclosions de pensées et autres petits systèmes alternatifs. ( voir « les sentiers de l'utopie » de John Jordan et Isabelle Fremeaux dans la collection Hors collection zones, Février 2011).

    « Yo no voto , Yo salgo a la calle » ( moi je ne vote pas, je sors dans la rue). En se rendant compte que leur vote ne possède finalement pas une si grande influence sur leur environnement socio-politico-économique, les gens deviennent persuadés que la véritable action se trouve dans le rassemblement, dans les rues, sur la place publique en définitive, que ce soit celle d'internet ou bien celle de leurs villes. « Ni políticos,ni banqueros.¡Democracia Participativa Ya ! » (Ni politiques ni banques,la démocratie participative maintenant !), le peuple veut retrouver un rôle dans la vie politique et civique de son pays, de sa région et de sa ville, il revendique le droit à une démocratie qui impliquerait largement plus ses citoyens, et grâce à l'outil internet ce mouvement prend une forme participative intéressante et en plus bénéficie de l'avantage que de nombreuses idées peuvent être préalablement échangées pour asseoir le mouvement sur une base intelligente et organisée, riche en apport citoyen d' horizons variés.

    « No falta dinero, sobran ladrones !! », ( l'argent ne manque pas, il y a trop de voleurs) : c'est dans une idée de rupture avec l'esprit capitaliste qui veut toujours produire plus pour gagner plus que certaines personnes se rendent compte qu'il ne faut pas plus d'argent à l'intérieur du système mais qu'il faut mieux le répartir, d'ailleurs les écarts de richesse ne se creusent-ils pas toujours plus au fil des années entre les plus pauvres et les plus riches ? Cette société apparaît de plus en plus inégale et on entend des hommes politiques apporter de pauvres idées slogans tels que : « travailler plus pour gagner plus », comme si c'était un élan individuel de fuite en avant vers une concurrence plus ardue entre les travailleurs qui constituerait la solution à ces problèmes de pauvreté et chômage et non pas une idée de partage. « diviser pour mieux régner » c'est sûr, ce vieil adage conserve encore aujourd'hui tout son sens.


    TommytheHerbs, résident à Madrid

     

    par TommytheHerbs mercredi 1er juin 2011


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