• FUKUSHIMA (suite23) CREDIBILITE

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    Jeudi 31 mars. 0H40. A distance, sans image, le temps semble comme suspendu. Suspendu à des pompes ( !) qui doivent débarrasser les m3 d’eau contaminée qui ont envahi plusieurs bâtiments de la centrale de Fukushima – cette inondation venant du remplissage de trois grandes tranchées situées sous les bâtiments abritant les turbines, à la suite du tsunami… Sur l’unité 1 (dont le toit a sauté le 12 mars dans une explosion hydrogène), le couvert d’eau aurait baissé de moitié, passant de  40 cm à 20 cm dans le bâtiment des turbines, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique. Annonce qui semblerait dérisoire si on n’apprenait en même temps que ce pompage lui-même n’a rien de simple et a même dû être arrêté à cause d’un problème particulier… Lequel ? Aucune information claire n’a été donnée, mais on peut tout imaginer : gravats bouchant les tuyaux, réservoirs déjà pleins. Sur les unités 2 et 3, il a fallu procéder à des transvasements successifs qui ont lieu entre divers réservoirs de stockage… Un réel casse-tête que ces “missions contradictoires”, comme l’a signalé le porte parole de l'Agence de sûreté nucléaire et industrielle Hidehiko Nishiyama. En effet, il faut éliminer cette eau qui empêche tout espoir de faire redémarrer les systèmes de refroidissement – si tant est qu’ils puissent  jamais redémarrer. Et dans le même temps, il ne faut pas arrêter de refroidir les cœurs de réacteur. Désormais l’opération a lieu avec de l’eau douce qui pourrait éliminer le sel abondamment apporté dans la centrale avec l’injection de l’eau de mer - solution désespérée adoptée dès le début de la catastrophe. Rappelons qu’un petit calcul simple montre que des centaines de tonnes de sel ont dû ainsi être déversées. Une partie s’est certainement cristallisée en divers points chauds, une autre partie se transformant en une sorte de saumure…  On ne peut pas arrêter de refroidir, et cette situation pourrait durer des semaines, des mois, voire des années.

    Voyant plus loin encore, le porte-parole cité ci-dessus a évoqué une durée de « au moins 20 ans »… pour achever les procédures de déclassement  de la centrale. Cette durée est sans aucun doute largement sous-estimée. Rappelons qu’en France, le petit réacteur de Brennilis (70 MW) est arrêté depuis 1985 et que son démantèlement à rebondissements (notamment après la découverte de contamination au césium 137 et au cobalt 60 près une station de traitement d’effluents en 2006) n’est toujours pas terminé.

    Contenir la radioactivité ne va jamais cesser d’être l’obsession absolue des lieux (1). A cette heure-ci, elle s’échappe encore largement. Dans l’océan, on l’a vu avec les dernières mesures : un échantillon recueilli mardi près du système de drainage a atteint 3355 fois la normale en iode-131.  Et il faut continuer à tout mettre en œuvre pour éviter une nouvelle explosion qui pourrait avoir lieu près des cœurs de réacteur. Soit par nouvelle émission d’hydrogène, soit lors de possibles explosions de vapeur  - pour le cas où du combustible fondu très chaud interagirait violemment avec l’eau. Alors, il y aurait risque de nouvelle dissémination de radioactivité.

    La mesure précise des rejets à l’extérieur de la centrale, dans la zone d’exclusion et au-delà va devenir un autre impératif majeur pour les mois, années, dizaines d’années à venir. Si des appareils de mesure ont été envoyés notamment par Areva de la France vers le Japon, plusieurs associations veulent à leur manière mener (ou aider à mener) des mesures indépendantes, notamment l’ACRO (association pour le contrôle radioactivité dans l’ouest) qui lance une souscription, notamment pour acquérir des appareillages (2). Quant à la CRIIRAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité), née avec l’accident de Tchernobyl, elle a lancé depuis presque une semaine une pétition réclamant la connaissance des mesures effectuées au niveau mondial par les laboratoires très spécialisés du grand réseau du CTBT (traité d’interdiction totale des essais nucléaires) (3).

    Alors que l’acquisition de certaines informations est très difficile – par exemple savoir dans quelle situation exacte se trouvent les cœurs de réacteurs (quelle part exacte est fondue ? avec quels détecteurs assez résistants aujourd’hui la mesurer ?), d’autres données, elles, existent effectivement bel et bien, des laboratoires ad hoc ayant été mis sur pied pour les obtenir. L’impression, tout comme après Tchernobyl, que les autorités – pas seulement nationales mais internationales – « cachent des choses », n’est pas fait pour rassurer les populations. Cela nous semble particulièrement « contre-productif » vis-à-vis d’une opinion devenue mondiale avec les nouveaux moyens de communication. Et c’est faire fi de la communauté de destin global de l’humanité. Si les becquerels, en très grand nombre, sont mesurés puis annoncés par quelques balises (ou appareils divers de détection) autour de Fukushima, à Tokyo, Ibaraki, au nom de quoi ne les annoncerait-on pas clairement à Takasaki (Japon), Sacramento (Californie), Montlhéry (France), Seibersdorf (Allemagne), Pékin (Chine) et depuis toutes les stations sophistiquées de tous les pays que le panache survole ?

    Après cette catastrophe majeure d'une technologie nucléaire répandue dans de nombreux pays survolés (Etats-Unis, France, Allemagne, Russie, Chine…), elle-même étroitement mêlée à une catastrophe naturelle majeure (séisme-tsunami) qui aura frappé les esprits à travers toute la planète, le moindre des respects des populations est de les informer de ce à quoi elles sont soumises. Ne serait-ce que pour les rassurer vraiment, en toute connaissance de cause. Une certaine confiance ne pouvant être rétablie qu’à ce prix. Il en devient étrange que nombre de dirigeants politiques au plus haut niveau n'aient pas l'air de s’en inquièter plus vite. Se croiraient-ils toujours au temps de la guerre froide -et de sa bureaucratie ? Seraient-ils en retard mental de quelques décennies ? Les temps ont changé, la planète s'est mondialisée et leur crédibilité, à eux aussi, se mesure au-delà des frontières.

    1)    Extrait de « Déclassement et démantèlement d’installations nucléaires » document de l’OCDE en français, p. 17 : « Lorsqu’une installation est fermée en raison de son âge, de son caractère redondant ou d’une panne, tous les dangers associés aux activités d’exploitation disparaissent en général ou sont grandement atténués, tandis que les dangers liés au stock de matières radioactives persistent et nécessitent une réglementation plus étroite. Comme les exigences réglementaires sont souvent complexes, coûtent cher et ne peuvent être appliquées que par un personnel hautement qualifié, tout pousse à vouloir les supprimer en s’affranchissant d’abord des dangers radiologiques. »                                                                                      http://browse.oecdbookshop.org/oecd/pdfs/browseit/6603082...

    2)    http://www.acro.eu.org/ L’association a décidé de lancer une souscription pour réunir un fonds de soutien aux demandes japonaises en termes de surveillance citoyenne de la radioactivité dans l’environnement.

    3)    http://www.criirad.org/


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  • INQUIETUDES DE PHYSICIENS ASIATIQUES

    Mardi 29. 22H. A l’heure qu’il est, après que des tonnes d’eau ont été injectées depuis les débuts de la catastrophe, le 11 mars, afin de refroidir les réacteurs ainsi que les piscines de combustible usagé à la centrale de Fukushima, la question se pose désormais de la pomper. Tout en essayant de la décontaminer au mieux. D’où l’aide proposée par le groupe français Areva, en envoyant notamment cinq experts spécialisés dans la décontamination des effluents radioactifs.

    Pendant ce temps, sans attendre, des physiciens spécialistes du nucléaire (notamment en matière de sécurité et d’armement) commencent à tirer des « Leçons de Fukushima ». Des leçons pour… l’Asie, selon une tribune publiée par le Pakistanais A.H. Nayyar, à l’université renommée LUMS de Lahore (Pakistan), avec l’Américano-Pakistanais Zia Mian et l’Indien M.V. Ramana, tous deux actuellement à l’université de Princeton (Etats-Unis).

    Ils tirent six leçons, que l’on peut lire dans leur intégralité sur ce site en anglais (1) [nous essayerons de proposer aussi rapidement que possible la traduction intégrale]. En attendant, nous résumons ici brièvement leurs inquiétudes de spécialistes, qui se demandent si l’extension actuelle du nucléaire civil (d’ailleurs parfois lié au militaire) dans cette région du monde, ne mène pas sur une voie dont il sera difficile de se dégager. Ce qui leur semble manifestement périlleux.

    La première leçon, formulée à l’intention du « public d’Asie du Sud et des décideurs », c’est la « sous-estimation de la probabilité et de la gravité des accidents possibles ». Bref, ils mettent en garde contre un excès de confiance. Et de rappeler que les catastrophes naturelles « ne font que rendre plus probables les accidents nucléaires » (2è leçon). La troisième, qui est peut-être la plus virulente, à sa manière, vient du constat que « les accidents nucléaires sont un résultat de la nature même de la technologie nucléaire ». Ils ont tous eu lieu (Tchernobyl, Three Mile Island, Windscale, Chalk River) dans des pays qui étaient dotés d’une réelle expertise, insistent-ils. Et peu importe que les réacteurs soient de conceptions différentes (4è leçon), voire qu’on y injecte encore plus d’argent pour la sûreté (5è leçon). Ils n’y croient pas. Dernière leçon et ce n’est pas la moins importante : « les réacteurs nucléaires et les gens ne font pas bon ménage ». En clair, les villes à la démographie galopante commencent à se rapprocher des centrales déjà existantes et ils ne voient pas comment il pourra être possible de les évacuer en cas d’accident.

    Nul doute qu’une telle prise de position, venant de ressortissants de pays connaissant un fort développement comme l’Inde, ainsi que cette signature croisée de deux Pakistanais et d’un Indien, fait montre d’une réelle audace.

    1)      http://www.dawn.com/2011/03/27/fukushima-lessons.html

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  • Le scénario du pire

    le scénario du pire, envisagé dès le lendemain de la catastrophe, revient à la surface. Si les enceintes et les cuves ne sont plus étanches comme c'est probablement le cas, une partie du combustible nucléaire pourrait se répandre dans le sol. Outre l'uranium 235 et 238, les pastilles de combustible partiellement usées contiennent de très nombreux produits de fission très contaminants : plutonium 239, technécium 99, zirconium 93, iode 129.. . Certains de ces radioélements ont des durées de vie très longue : 24. 000 ans pour le plutonium et 15 millions d'années pour l'iode 129.

    Si la situation se dégrade, l'impact serait considérable. Dès à présent, la pollution radioactive des terres due aux rejets atmosphériques s'étend probablement à un rayon de 100 km autour du site. Si le pire se produit, il faudra créer un no man's land autour du sarcophage de Fukushima. Un vrai Tchernobyl bis.

    ALAIN PEREZ

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  • FUKUSHIMA (suite 21) DE TCHERNOBYL EN TCHERNOBYLS

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    Lundi 28 mars. 23H. « De Tchernobyl en Tchernobyls », c'était le titre du livre que le prix Nobel de physique Georges Charpak, aujourd’hui disparu (1), faisait paraître Il y a cinq ans et demi avec son vieil ami physicien Richard Garwin, membre de l’ Académie des sciences américain, et la physicienne Venance Journé, du CIRED (Centre International de recherche sur l'environnement et le développement), proche du mouvement Pugwash (2), un livre de 578 pages réédité ces jours-ci (3). Il y était rappelé que « nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux tchernobyls ». Et il est très intéressant de retrouver aujourd’hui, dans l’une des cinq annexes de l’ouvrage, l’article plus qu’instructif d’ AnnMac Lachlan, une journaliste spécialisée très connue dans le domaine nucléaire, écrit sous le titre « La complaisance et la négligence menacent l’industrie nucléaire, selon les avertissements de l’association mondiale des exploitants de centrales nucléaires [WANO] ».

    On ne peut soupçonner ces exploitants de centrales d’être de redoutables anti-nucléaires. Et pourtant, quel avertissement avaient-ils lancé, lors de cette réunion générale à Berlin, de hauts fonctionnaires de la WANO (association née en 1989 dans le sillage de Tchernobyl) ? Que « l’industrie nucléaire mondiale y [était] en danger, menacée par la complaisance et la négligence  qui ont conduit à plusieurs « incidents graves» dans des centrales nucléaires en Europe, aux Etats-Unis et au Japon au cours des dernières années ». Il n’est évidemment pas question ici de reproduire tout cet article initialement paru chez notre confrère hebdomadaire Nucleonics Week (4) puis dans le livre de Charpak/Garwin/Journé. Mais il faut se débrouiller pour le relire dans son intégralité, tant il traduit des échanges … sans complaisance et fort peu rassurants !

    Nous en extrairons seulement un ou deux éléments concernant TEPCO (Tokyo Electric Power Company), l’opérateur de la centrale de Fukushima, dont le président Tsunehisa Katsumata était présent à Berlin. 16 cas de falsification de données étaient mentionnés chez TEPCo, dans des rapports d’inspection et de réparation des réacteurs à eau bouillante. Ce qui  ne manquait pas représenter, selon Rolf Gullberg, président du centre de Paris de la Wano, « un danger pour l’avenir de notre industrie ».  Le président Katsumata lui-même indiquait par ailleurs que le département de l’énergie nucléaire de TEPCO était devenu « un cercle homogène et fermé d’ingénieurs qui défiaient les vérifications effectuées par d’autres départements, y compris la direction »… Et tout à l’avenant, notamment sur « la non prise en compte de défauts apparaissant lors du vieillissement des équipements… ».

    Nous arrêterons là le jeu de massacre qui se poursuit sur 5 pages, pour signaler qu’il y avait exhortation générale à un maintien de la culture de sûreté, qui ne devait pas être bradée au nom des coûts de production. Surtout, tout le monde, dans le domaine, en prenait pour son grade, que ce soit chez EDF (avec la centrale de Cattenom), British Energy (la centrale de Sizewell-B), la compagnie de la centrale nucléaire de Paks en Hongrie etc.

    A l’heure où du plutonium a été découvert en cinq endroits dans le sol de la centrale de Fukushima et que l’opérateur TEPCO appelle finalement à l’aide (les Français EDF, Areva, CEA vont être mis à contribution) lors de cette crise majeure commencée le 11 mars et désormais vieille de 17 jours, il est nécessaire de rappeler que de pareilles déclarations ont bel et bien eu lieu un jour. Les opérateurs, eux-mêmes, étaient donc fort inquiets. Et comme le déclarait Bruno Lescoeur, directeur de la branche énergie d’Electricité de France, cité par notre consoeur AnnMacLachlan et reproduit en page 489 du livre Charpak/Garwin/Journé : « même un accident mineur pourrait être un désastre parce qu’il pourrait remettre en cause l’acceptabilité de l’énergie nucléaire en France, et peut-être même à l’échelle mondiale ».

    Vu l’ampleur du désastre (et non un « accident mineur ») à Fukushima, nous pourrions bien en être là.


    1)      Lire sur ce blog « Merci, Monsieur Charpak » http://sciencepourvousetmoi.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/09/index.html

    2)      Ce mouvement qui a obtenu le prix Nobel en 1995, avec son cofondateur Sir Joseph Rotblat, s’est donné pour mission (notamment à travers les « conférences Pugwash) d’apporter des éléments scientifiques et réflexions éthiques approfondis pour s’interroger sur les menaces que peuvent créer la science et la technologie. Et tout particulièrement la menace des armes nucléaires, auxquelles le fameux manifeste Russell-Einstein de 1955 demandait de renoncer.

    3)      Editions Odile Jacob.

    4)      Nucleonics Week, volume 44, numéro 42, 16 octobre 2003.


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  • Pour mémoire

    Pour mémoire, les personnes exposées dans un temps très court à une dose cumulée de plus de 1 sievert (1000 millisieverts) peuvent souffrir d'effets nocifs quasi immédiats (diminution du nombre de globules blancs et de plaquettes sanguines, nausées et vomissements). A 5 sieverts, 50% des patients irradiés décèdent dans les semaines suivantes. Des taux de plusieurs centaines de millisieverts par heure avaient déjà été détectés autour des réacteurs endommagés de la centrale, provoquant des évacuations.


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  • Quand la nature reprend ses droits

    Après l’accident de Tchernobyl, des centaines de km2 ont été désertés par leurs habitants : depuis, les animaux rêgnent sur les lieux abandonnés, la vie sauvage à, en apparence, repris son son court. En apparence seulement, car les campagnes sont hautement contaminées, la nature s’est adapté sans l’homme qui ne pourra plus y habiter avant des siècles ... Un sujet qui revient d’actualité avec la catastrophe japonaise de Fukushima.

    par Yoann (son site) lundi 28 mars 2011


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