• Simone Veil ou la fin du romantisme politique

    Simone Veil ou la fin du romantisme politique

    Assumant la complexité et les contradictions de la nature humaine, la figure de Simone Veil rompt avec une certaine conception française de la politique, à la fois héroïque et manichéenne.

    Au regard de son passé de déportée, la vie de Simone Veil est une succession de choix paradoxaux. La France a trahi les idéaux républicains de ses parents et contribué à l’extermination d’une partie de ses proches ? Elle n’envisage pas d’en partir et se sent « profondément française ». Le droit a justifié l’injustifiable ? Elle rêve de devenir avocate et opte finalement pour la magistrature. L’histoire vient de montrer, une fois de plus, que l’inhumanité ne connait pas de limite ? Elle se bat pour améliorer les conditions de détention des prisonniers de droit commun. L’action publique n’a pas empêché le pire de se produire quand elle n’y a pas largement contribué ? Elle travaille dans l’administration et au sein de plusieurs cabinets ministériels avant de s’engager en politique. Son premier ministère, celui de la Santé, pourrait lui permettre de défendre une grande cause, une de celle qui fait naturellement l’unanimité ? Elle prend en charge la légalisation de l’avortement, un dossier qui lui vaudra d’être insultée, menacée, détestée. L’Allemagne a atteint le sommet de la barbarie en appliquant la « solution finale » ? Elle soutient la réconciliation franco-allemande et milite sans réserve pour la construction européenne.

    Même si elle a perdu toute illusion, Simone Veil continue de croire en l’homme. Malgré l’histoire. Et en raison de l’histoire. Sa biographie, parue en 2007, évoque ainsi les Italiens qui « paradoxalement, se montraient plus libéraux à notre égard que les autorités de notre propre pays » et la dégradation de la situation qu’engendra la chute de Mussolini pour les Juifs français, la « réelle solidarité des Niçois entre eux » et le fait que « la France est de tous les pays occupés, et de loin, celui où les arrestations furent, en pourcentage, les moins nombreuses ». Dans les camps, S. Veil note que les kapos se comportaient comme des brutes « même si c’étaient des déportés comme nous » tout en précisant que c’est l’une d’elles, une ancienne prostituée, qui lui sauva la vie, à elle et sa famille, en permettant leur transfert à Bergen-Belsen. Et parce que rien n’est simple, elle n’hésite pas à écrire : « la communauté juive américaine, très protectionniste, ne s’est guère manifestée [pendant la guerre], sans doute dans la crainte d’un afflux brutal de réfugiés ». De la communauté juive française au lendemain de la guerre, elle garde « le sentiment qu’elle s’était peu impliquée, au moins directement, dans l’aide morale et matérielle que les familles, souvent étrangères, amputées par la Shoah pouvaient espérer ».

    Le monde, la vie, les individus sont par nature complexes mais la prédominance du gris n’enlève rien à l’existence du blanc et du noir. La responsabilité collective défendue par Hannah Arendt consiste, pour S. Veil, à nier l’existence du bien et du mal. Si « tous les hommes ne sont pas également coupables et responsables » c’est aussi parce que « des hommes qui n’attendaient rien, qui ne savaient pas ce qui allait se passer (…) n’en ont pas moins couru tous les dangers pour sauver des Juifs que, le plus souvent, ils ne connaissaient pas (…) Leur mérite est immense, tout autant que notre dette à leur égard ». En somme, S. Veil continue de croire en l’homme mais se défie des idéaux et des idéalistes, quelle que soit leur sensibilité politique. Ce qui la conduit, par exemple, à rappeler que « les femmes ne se font pas avorter par plaisir » ou que ce qu’il peut y avoir de gênant dans « les droits de l’homme prétendument universels, c’est que précisément ils ne le sont pas (…) que ce sont toujours aux faibles que l’on fait la morale, tandis qu’on finit par blanchir les puissants »…

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