• A la poursuite d'Octobre Rouge

    A la poursuite d'Octobre Rouge

    Mai 68 reviendra-t-il tel un octobre rouge en 2010 ?

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    Le point d’interrogation s’impose, signalant par son apparition la nature prospective du billet dont le titre indique qu’il parle d’un futur possible en adoptant non pas le style prophétique mais la forme analytique. Les cheminots ont décidé d’un mouvement de grève reconductible à partir du 12 octobre. A Marseille, le secteur de la raffinerie et des zones portuaires s’est mis en grève. Les syndicats sont sur le « pied de guerre ». C’est habituel, avant chaque grand mouvement social. Les lycéens de gauche voudraient bien se lancer dans la fronde. Les lycéens de droite préfèrent étudier pour gérer leur avenir. Les gens de gauche parlent d’exaspération, de grand mouvement, de grève générale, d’être tous ensemble, solidaires, unis contre la retraite à 62ans, remontés contre le gouvernement et les faramineux profits des « capitalistes ». Les gens de droite disent que les cheminots sont des privilégiés et ne roulent que pour leurs propres intérêts, comptant sur la division des français et leur exaspération d’être coincés dans les bouchons et les franciliens, entassés comme des sardines pendant que ces s. de conducteurs font grève pour pouvoir partir se dorer dans les îles à 60 ans.

    La bataille, si elle a lieu, ne se fera pas uniquement dans la rue mais aussi dans les médias. Légitime ou pas légitime ce combat pour faire reculer le gouvernement et le mettre à la table des négociations afin de trouver des propositions pour contourner le recul de la retraite à 62 ans ? Les analystes et autres rhétoriciens de salles de rédaction ont sur le tarmac des argumentaires rationnels. Les personnages habilités à être invités dans les médias pour donner leur avis affûtent leurs raisonnements et façonnent les petites phrases pour trouver la formule choc capable de percer les défenses mentales des populations et pénétrer au cœur du système combinant passion et raison. On trouve en effet dans le cerveau une zone hégélienne, sensible aux passions raisonnées, aux contradictions irraisonnées. C’est cette zone qui est responsable de cette mystérieuse ruse de la raison qui fait l’Histoire et ses grands mouvements. Guerres mais aussi conflit sociaux dont le plus intense ce dernier siècle se déroula lors d’un printemps de mai 1968. Plus récemment, les souvenirs se portent sur les grandes manifestations contre le CPE, alors que Dominique de Villepin était à Matignon, ironisant sur le fonctionnaire accroché à son poste tel un coquillage arrimé au rocher. Il se trouve que la grande marée des manifestants à permis de découvrir ces coquilles de fonctionnaire lors du flux montant, non pas sur la plage abandonnée mais dans la rue. Le CPE, un élément de mécontentement éminemment symbolique, inscrit dans une défiance des Français face aux dirigeants, une fronde démocratique attestée par le non au référendum sur le TCE en 2005.

    Le point d’interrogation hante cette réflexion. Que va-t-il se passer ? La dernière fois où le pays fut bien bloqué, c’était lors des grèves de décembre 1995. C’était il y a quinze ans dans un contexte économique, social et politique sensiblement différent. L’hypothèse d’un grand mouvement social doit être envisagée, même s’il paraît incertain et même peu probable. Toutes les conditions sont réunies, sauf peut-être la plus importante, la détermination individuelle. Mais l’Histoire sait que les grandes révolutions n’avaient pas été prévues, ni par les dirigeants, ni les penseurs, et qu’elles n’avaient pas été anticipées par les populations. C’est après coup que les historiens tentent de reconstituer la vague montante des mécontentements et des amplifications de mouvement. En 1995, Chirac venait d’être élu et Juppé d’être nommé, dans un contexte de fracture sociale ayant fourni le thème de campagne d’un Chirac légitimement élu d’autant plus qu’il arrivait à l’Elysée après un second septennat calamiteux de Mitterrand. L’alternance, ce mythe démocratique. En 2010, Sarkozy a derrière lui plus de trois ans de gouvernance très spéciale, marquée par un style, une omniprésence médiatique et des réformes controversées, le tout agrémenté d’un récent discours qui eut le malheur d’altérer l’image de la France, tout en choquant quelques dignitaires de Bruxelles. En plus, contrairement à 1995, le pays est miné par quelques scandales ayant créé du buzz, non seulement l’affaire Clearstream mais aussi le feuilleton Woerth Bettencourt qui a montré le déni de réalité des conseillers du président. C’était jouer avec le jeu que de maintenir le lieutenant Woerth en poste, chaque semaine offrant son lot de révélation, martelant les esprits. Des motifs d’agacement, il y en a. Le chômage, la crise, le bouclier fiscal, les banquiers et ces profits faisant un retour marqué mais sans le retour de l’emploi, les niches fiscales et pas plus tard qu’aujourd’hui, la publication d’un rapport de la Cour des compte chiffrant à 150 milliards le coup des exonérations fiscales offertes aux entreprises. Même si ces niches fiscales sont quelque fois excusées au nom de la stratégie économique, le François moyen doit bien se dire que dans ces 150 milliards, on peut en récupérer une partie pour équilibrer les retraites et permettre aux caissières, routiers et autre manutentionnaire usé de pouvoir partir à 60 ans pour un repos bien mérité. Plus généralement, les travailleurs sont aussi excédés par une pression sur le travail et l’emploi qui n’a cessé de s’accentuer depuis quinze ans. Il suffit de voir quelques reportages bien réalisés ou d’entendre les murmures dans les conversations de rue. Si les élites et autres oligarques prennent leurs informations dans les dîners en ville, la France qui n’a pas les moyens de déjeuner dans un resto prend ses sources dans la rue, autre lieu de rencontre moins sélect mais tout aussi intéressant. Le grand soir révolutionnaire de 2010 opposera les gens de la rue aux convives des dîners en ville. Le grand soir n’est cependant qu’une phase improbable de l’Histoire écrite dans un des livres de l’infinie bibliothèque imaginée par Borges.

    La situation en 2010 est donc bien différente de 1995. Le mécontentement est au seuil maximum. Les conditions sont réunies pour un grand mouvement qui, et les syndicats le savent bien, dépassera le cadre de leur représentation, ratissant dans toutes les franges de la population mécontente. Et surtout, le mouvement sera incontrôlable, traduisant une connivence avec mai 68 dont le ressort fut le double mécontentement des étudiants et surtout des travailleurs à une époque où ils se sentaient aussi sous la pression et mal récompensés. On retrouve quelques motifs similaires en 2010. Une grande inconnue. Que va faire la jeunesse, si prompte à se réunir pour un apéro géant mais incertaine pour un grand soir. Pourtant, les motifs de mécontentement sont nombreux, notamment le prix des locations qui ampute leur budget, obligeant les uns à hypothéquer leurs études pour un job alimentaire et les autres de ponctionner les revenus de leurs parents. Maintenant, le contexte de peur régnant, la résignation liée à un confort matériel assez répandue, l’égoïsme, le souci d’entrer dans la lutte des classes, la peur des attentats, tous ces éléments s’opposent au grand soir. La conclusion sera se s’en remettre à l’effet papillon qui contrairement à ce qu’on pense ne joue pas sur la météo mais sur le climat social, étant entendu que le système est parvenu à un état de contradiction avéré, un peu comme le point critique d’un tas de sable prêt à s’effondrer lors du prochain grain lancé. Si le château de sable s’écroule, il y aura sur les pavés la plage sociale.

    par Bernard Dugué (son site) jeudi 7 octobre 2010 -


  • Commentaires

    1
    octobre-rouge.fr
    Samedi 30 Octobre 2010 à 08:35
    le pire risque c'est de ne pas en prendre.
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