• Attendre la mort pour en finir avec son cancer

    Ce papier risque de choquer mais il faut bien que certaines questions soient exposées pour être débattues. François Hollande a d’ailleurs décrété ouvert l’examen de l’euthanasie. Dans certaines situations, un individu a la légitimité de demander une aide pour mourir. C’est parfois le cas lorsqu’on est atteint d’une maladie qu’on présente comme longue pour ne pas la nommer. Le cancer est encore désigné comme une longue maladie car le mot inquiète. Ce qu’on peut comprendre car dans la plupart des cas, un cancer signifie mort probable dans x années, le x étant une variable dépendant du type de cancer contracté par un individus et des résultats d’analyses. Dans les meilleurs des cas, un cancer peut être soigné avec comme résultat une rémission durable, voire même une guérison. Dans les pires des cas, on parle de pronostic sombre. Le cancer se présente comme une loterie où chaque lot est une mauvaise nouvelle. Ensuite, tout dépend du diagnostic et des traitements disponibles. L’espérance de vie dépend de nombreux facteurs, nature et stade du cancer, métastases ou pas, soins, âge et constitution physiologique du patient. Les statistiques permettent néanmoins de donner une indication sur le pronostic vital. N’oublions pas que le cancer n’a pas empêché Mitterrand d’exercer deux mandats présidentiels. Reagan fut lui aussi atteint par un cancer qui, vu son grand âge, s’est développé lentement ce qui l’a amené à décéder à un âge respectable. Mais pour d’autres, c’est beaucoup plus rapide, comme par exemple avec le cancer du pancréas qui emporta récemment Patrick Roy, le métallo à la veste rouge de l’Assemblée nationale.

     L’annonce d’un cancer n’est pas sans conséquences sur le patient et son entourage. Il faut ensuite se préparer pour réfléchir aux traitements. En général, les patients s’en remettent à l’avis des spécialistes. Lorsque le cancer est localisé, la chirurgie et la radiothérapie sont pratiquées avec des succès notables selon le type de cancer et son avancement. Au vu des résultats publiés par les cliniciens, il n’y a pas lieu de remettre en cause ces traitements qui ont fait leur preuve et permettent de prolonger la vie. Par contre, le traitement par voie chimique ne s’impose pas ou du moins, il ne s’impose plus comme une évidence car une réflexion permet d’établir une balance entre l’acceptation ou le refus de ce type de traitement. Ce court texte n’a pas pour objectif de livrer une analyse complète sur cette question. Il ne fait que poser rapidement la question de la chimiothérapie et de son utilité pour le patient. Et bien évidemment, chaque situation ne peut être décidée qu’individuellement. Les chimiothérapies anticancéreuses sont très lourdes, dispensées sous forme de perfusion, nécessitant des séjours plus ou moins longs à l’hôpital. Les effets secondaires ne sont pas anodins. La vie quotidienne du patient est donc affectée. Loin d’être confortable, la vie en devient pénible. Et quel bénéfice au bout ? Parfois, ces traitements ne servent qu’à repousser de quelques mois l’échéance finale. Par ailleurs, les résultats les plus récents sur le cancer montre que les cellules tumorales ont un génome instable et savent déployer des stratégies évolutives pour échapper au traitement. Enfin, il est aussi envisageable que les molécules anticancéreuses puissent aggraver le développement des cellules tumorales.

    Peut-être la vision du cancer et de son traitement bascule. Certains cancers échappent au traitement alors que la médecine s’acharne à trouver des molécules capables de prolonger l’existence de quelques mois. Le système de santé ne prend pas en considération la vie des malades. Les pharmacologues crient victoire quand ils gagnent un peu de temps et que les statistiques valident leur protocole mais les patients ne que des cobayes déjà condamnés et livrés aux laboratoires pour servir de chair à profit et de matière statistique offerte au calcul. Il n’y a pas que le pronostic qui est sombre. Le système de santé possède aussi son sombre côté et quelques voix commencent à témoigner de l’acharnement inutile. Au moment de décider une chimiothérapie, les patients et leur entourage sont-ils bien informés ? N’il y a-t-il pas abus de faiblesse de la part d’un système de soin se présentant face à des patients et proches démoralisés par la maladie et les sombres perspectives ? Je n’accuse pas, je ne fais que poser des questions au nom d’une présomption de soupçon à l’égard d’un système qui pour moi ne mérite pas qu’on lui accorde une confiance absolue. D’ailleurs, dès que des sommes d’argent sont en jeu, le soupçon devient une méthode philosophique, au même titre que le doute méthodique.

    Un philosophe justement, l’un des plus célèbres, a pensé que le pouvoir du maître sur l’esclave repose sur la crainte de la mort. L’esclave préfère abdiquer sa liberté pour préserver sa vie. Et le patient, ne choisit pas de prolonger sa vie en offrant son corps à la chimie ? La question est parfaitement posée mais elle ne peut-être tranchée qu’à titre personnel. Prendre la vie avec philosophie ne suffit pas car il faut prendre aussi la mort avec philosophie et ce ne sont pas les stoïciens qui diraient le contraire, eux qui déjà méditaient sur le suicide comme une affaire strictement personnelle. A chacun de choisir et à tous de revendiquer le droit à une information impartiale et non orientée lorsque la fin de vie est en jeu. J’espère quant à moi rester sur mes convictions et avoir la force et le courage de dire non à une chimiothérapie si par malheur, j’étais atteint d’une maladie au sombre pronostic. Je préfère attendre la mort plutôt que passer dans les mailles d’un système de soins pas vraiment curatifs. Je demande au système de santé des traitements pour ne pas souffrir et non pas des molécules pour mourir lentement. L’homme est un individu qui a conscience de la mort et qui devrait apprendre à affronter sa mort. Le jour où l’échéance sera proche, qu’on m’injecte de quoi partir le jour où j’aurai décidé que ma vie doit s’achever. C’est aussi cela être philosophe. Accepter de partir et ne pas s’acharner pour gagner quelques misérables jours de souffrance.

    Bien évidemment, ce texte est libre de diffusion et s’il peut atterrir comme réflexion personnelle placée dans un dossier sur le bureau de François Hollande, qu’il aille là où sa destination est juste. Et puis, un peu de rêve. Si en acceptant la mort, en méditant profondément cette décision, qui sait si les cellules tumorales ne seront pas informées, sachant que si elles continuent ainsi, elle créeront les conditions pour abréger leur existence car le patient qui les nourrit va crever. Si on pouvait parvenir à raisonner nos cellules qui sont des êtres doués de téléologie cognitive, eh bien ce serait un grand pas. Ce n’est que du rêve me direz-vous mais j’ai plus confiance dans mes rêves philosophiques que dans les recherches scientifiques.

    Pour finir, une blague. Deux poivrots sirotant un pastis au bar. L’un demande à l’autre s’il préfèrerait, en cas de choix, avoir Parkinson ou Alzheimer et l’autre de lui répondre Parkinson en mimant une main tremblotante agitant le verre : je préfère perdre quelques gouttes de Ricard plutôt que d’oublier de le boire. Quant à moi, je préfère perdre quelques semaines de vie plutôt que d’oublier de mourir !

    par Bernard Dugué (son site) mercredi 18 juillet 2012


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