• Deepwater ....suite

    Modification drastique de l’écosystème marin après la catastrophe de Deepwater dans le golfe du Mexique

    Il y a deux ans, une plateforme pétrolière explosait en plein milieu du Golfe du Mexique, à 400 kilomètres des côtes, libérant quelque 5 millions de barils dans cette portion de l’Atlantique étendue comme trois fois la France. Autrement dit, 700 000 tonnes de brut déversées dans la mer, soit 20 fois la cargaison de l’Erika. Les marées noires sont spectaculaires pour les yeux sensibles, offrant le spectacle de rochers maculés de cambouis avec des oiseaux mazoutés qu’il faut se dépêcher de sauver. Deux ans plus tard, le brut a disparu et l’on s’imagine que tout revient dans l’ordre, or, ce n’est pas du tout le cas si l’on en croit cette étude de chercheurs américains qui se sont penchés sur l’écosystème des petits organisme dans les zones benthiques. Ce n’est pas parce que les choses sont invisibles qu’elles n’existent pas. Ces chercheurs sont allés faire des prélèvements dans cinq lieux situés dans la baie Mobile en Alabama. Puis ils ont utilisé des marqueurs génétiques et morphologiques afin de comparer la flore microbienne avant et après la pollution par le brut échappé de la plateforme Deepwater qui doit son nom aux plus de 10 000 mètres représentant un record de profondeur en matière d’extraction du pétrole.

    Les résultats sont édifiants et riches d’enseignement (Blik et all. PloS, 6 juin 2012). Avant la marée noire, on pouvait relever une grande diversité des espèces marines eucaryotes avec un écosystème composé de métazoaires, de protistes, d’algues et champignons. Un ensemble d’espèces qui selon les auteurs est assez représentatif des écosystèmes qu’on trouve dans beaucoup de fonds marins. En combinant les marqueurs biologiques et les analyses morphologiques, ces chercheurs ont trouvé une variation très importante de l’écosystème lorsqu’ils ont étudié les fonds marins après la catastrophe écologique. On est passé d’un milieu composé d’une diversité de métazoaires à un milieu dominé par les champignons. Plus précisément, la composition du système fungique a sensiblement varié, réduisant de beaucoup sa diversité pour faire apparaître le développement de quelques souches connues pour leur aptitude à digérer les hydrocarbures. Les analyses taxonomiques ont montré par ailleurs une transformation notable de la faune des nématodes qui globalement, a diminué tout en offrant une opportunité de développement pour les espèces nécrophages et prédatrices, capables notamment de se nourrir de résidus contenant des hydrocarbures et des champignons largement présents. Ces résultats illustrent parfaitement la mise en œuvre de la sélection naturelle traduite par des avantages adaptatifs pour les espèces ayant pu (ou su) profiter avantageusement du milieu modifié par la diffusion des hydrocarbures alors que d’autres espèces moins adaptées finissent par abandonner leur place que l’équilibre naturel leur avait assignée.

    A noter les résultats contrastés si l’on compare les écosystèmes dans les divers lieux étudiés et notamment les fonds entourant l’île des dauphins où les nématodes sont plus diversifiés, ainsi que les types fungiques. L’adaptation de l’écosystème s’avère complexe et contrastée. D’après les auteurs, la configuration géographique et l’intervention humaine ont influencé le cours des choses naturelles. En effet, certaines plages ont été plus soigneusement nettoyées et d’autres protégées par des barrières flottantes, ce qui n’est pas le cas pour d’autres zones de la baie. Au final, la conclusion penche vers une réduction de la diversité des métazoaires. Mais on ne peut prédire quel sera l’impact sur d’autres espèces ni pendant combien de temps l’écosystème adapté aux hydrocarbures persistera. On peut en effet s’attendre à ce que les hydrocarbures soient éliminés sans aucune garantie que la flore et la faune marine puissent revenir à l’état initial.

    Ces études offrent un intérêt double, indiquant en premier lieu quelles peuvent être les conséquences d’une pollution d’envergure sur un écosystème avec peut-être des conséquences écologiques et sanitaires sérieuses. La chaîne alimentaire est en effet perturbée alors les micro-organismes essentiels (protistes notamment) pour purifier les milieux aquatiques voient leur composition modifiée. Cela dit, la nature pourrait faire bien les choses comme on dit et finir par retrouver un équilibre après avoir digéré les hydrocarbures qui en fin de compte, sont des molécules organiques basiques, nettement moins toxiques que les métaux lourds qui eux, se concentrent dans la chaîne alimentaire. L’autre intérêt est scientifique. Ces travaux livrent une image détaillée et élargie de la transformation d’un écosystème suite à une grosse perturbation. A méditer la présence des nématodes prédateurs. Est-ce un hasard ou bien une conséquence naturelle que l’apparition d’espèces interprétables comme « offensives » voire « agressives » lorsque le milieu change ? Des espèces pouvant devenir agressives et même invasives, on en connaît quelques unes et notamment le criquet pèlerin dont on parle à peu près tous les dix ans, lorsqu’il dévaste des territoires grands comme la France. La nature dévoile une rapidité adaptative et on espère voir ces travaux se poursuivre les prochaines années afin de tirer quelques enseignements sur les capacités de récupération des milieux marins après une pollution de cette importance. Souhaitons également que d’autres zones puissent être explorées afin d’étendre le champ de connaissance sur ces phénomènes adaptatifs qui nous éclairent sur les mécanismes fondamentaux se produisant dans les écosystèmes.

     
     

    par Bernard Dugué (son site) samedi 9 juin 2012


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