• L'extraordinaire appétit de M. Bauer

    L'extraordinaire appétit de M. Bauer

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    Il possède une myriade de titres prestigieux, et c'est aussi un ancien grand maître du Grand Orient de France.

    FRANCS-MAÇONS - L'extraordinaire appétit de M. Bauer

    Nicolas Sarkozy et Alain Bauer, en 2006 © Élodie Grégoire / Gamma


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    Par Sophie Coignard

    Ce n'est plus du cumul, c'est un carrousel de casquettes, une farandole de titres, une orgie de distinctions : conseiller de Nicolas Sarkozy pour les questions de sécurité et de terrorisme, enseignant auprès des universités Paris-I, Paris-II, Paris-V, à l'École des officiers de la gendarmerie nationale, à l'École nationale de la magistrature, à l'École nationale supérieure de police, professeur titulaire de la chaire de criminologie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), président du conseil d'orientation de l'Observatoire national de la délinquance, de la Commission nationale de la vidéosurveillance et, depuis janvier 2010, président du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique. Ouf !

    Précisons, pour ceux qui reviendraient d'un long voyage sur la Lune, qu'Alain Bauer est aussi ancien grand maître du Grand Orient de France. Il était également, jusqu'en juillet 2010, le fondateur, P-DG et propriétaire (par le biais d'une société civile) de AB Associates, société de conseil en sécurité. Une entreprise qui rapporte : en 2009, pour 4 millions d'euros de chiffre d'affaires, elle a réalisé un bénéfice net de plus d'un million d'euros. Son P-DG l'a dissoute pour se mettre en conformité avec la loi interdisant à un professeur d'université d'être mandataire social. Il continuera donc comme consultant, ce qui n'est pas illégal.

    Travailleur infatigable

    Cette activité multiforme interroge sur le mélange des genres entre public, privé, officiel et officieux. Alain Bauer consultant récolte-t-il des contrats, à l'étranger notamment, facilités par la visite de Bauer Alain en tant que conseiller pour la sécurité du président de la République ? L'extraordinaire appétit de ce travailleur infatigable - il est aussi l'auteur de nombreux romans, essais et manuels - suscite régulièrement l'étonnement, voire l'indignation. La chaire de criminologie a été créée spécialement pour lui, sur ordre de l'Élysée, après que Christian Forestier est devenu administrateur général de cette grande école, en 2008. Or ce dernier est aussi membre du Grand Orient de France. Et alors ? Une coïncidence, sûrement.

    En 2009, nouvelle polémique à propos du rapprochement des instituts de recherche traitant des questions de sécurité et de géopolitique. Alain Bauer voudrait regrouper sous la même bannière l'Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes), l'Institut d'études et de recherche sur la sécurité des entreprises (Ierse), l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et le Centre des hautes études de l'armement (CHEAr). Il se voit confier une mission d'études par Nicolas Sarkozy, rend un rapport préconisant la fusion, au nom de la rationalisation, et devient président d'une mission préparatoire. À l'époque, il se défend de vouloir prendre la tête de la future structure. Tout le monde a le droit de changer d'avis.

    Intimité avec le président

    Certains de ces instituts font de la résistance. Bauer commence donc par s'attaquer au plus faible. L'Ierse est alors dirigé par le préfet Rémy Pautrat. Il offre des formations et publie des ouvrages sur l'intelligence économique. Point faible : l'Ierse est hébergé par la Gendarmerie nationale. Alain Bauer propose à Rémy Pautrat de venir évoquer la fusion avec Nicolas Sarkozy en personne. "Il a pris soin de montrer son degré d'intimité avec le président, se souvient Rémy Pautrat. J'ai vite compris que, si je n'acceptais pas, je mettrais la direction de la Gendarmerie nationale en porte à faux. Alors j'ai cédé..."

    C'est fou ce que l'Élysée a comme temps à consacrer à ce dossier ! En janvier 2009, plusieurs patrons du CAC 40 y sont conviés. Alain Bauer, qui a par ailleurs, dans le cadre de ses activités privées, des liens contractuels avec certains d'entre eux, souhaite les faire contribuer financièrement.

    Manoeuvres

    Car son ambition est immense. Il envisage, comme c'est écrit en filigrane dans son rapport, d'avaler aussi les organismes de recherche privés ou parapublics qui ont trait d'une manière ou d'une autre à la géostratégie.

    Parmi ceux-ci, le plus prestigieux est l'Institut français des relations internationales (Ifri), créé en 1979 par Thierry de Montbrial. Un gros morceau : les plus grandes entreprises françaises ainsi que les ambassades sont partenaires de l'Ifri. Alain Bauer commence les manoeuvres d'approche. Puis, à l'été 2009, il fait convoquer Thierry de Montbrial à l'Élysée, dans le bureau du directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Christian Frémont.

    Le patron de l'Ifri s'est ouvert à des proches de cette réunion surréaliste, durant laquelle un marché lui a été mis en main par Bauer : soit il acceptait d'entrer dans le giron du conseil supérieur présidé par le même Bauer, soit il allait devoir se passer des subventions de l'État, qui représentent moins d'un tiers des ressources de l'Ifri. Thierry de Montbrial ne s'est pas laissé tordre le bras : mieux valait, pour lui, un Ifri privé de subsides, donc contraint à la décroissance, que la perte de son indépendance. Il a obtenu gain de cause.

    Dommage pour l'ami sécurité du président, qui trouvait sûrement l'Ifri très à son goût : réceptions de chefs d'État, colloques de haut niveau, tout pour plaire... Il a, pour l'anecdote, fait déprogrammer par mail l'intervention de Thierry de Montbrial à la séance d'ouverture de l'IHEDN, fin 2009. Motif invoqué : cet homme n'est pas bien vu à l'Élysée.


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