• La bataille pour l’Arctique a commencé

    La bataille pour l’Arctique a commencé
    Geneviève Beduneau

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    Les 9 et 10 novembre derniers, une conférence internationale s'est tenue à Monaco. Il s'agissait d'une conférence de travail réunissant des ministres et des personnalités de l'Union Européenne, des pays du Conseil Arctique (Danemark pour le Groenland et les îles Féroé, Finlande, Islande, Norvège, Suède, Russie, Canada, Etats-Unis, auxquels s'ajoutent des représentants de communautés indigènes telles que les Aléoutes, les peuples sibériens, les Inuit, etc.) et des représentants des institutions internationales.

    Titre original : La bataille feutrée dans le grand nord
    Paru dans le numéro de janvier 2009 de la revue B-I
    http://www.b-i-infos.com/

    Officiellement, la conférence avait pour but l’observation scientifique et les questions environnementales : changement climatique, pollution, biodiversité. Toutefois, il est rare que des questions purement scientifiques se traitent au niveau ministériel. Les accords sur la recherche et les vertueuses protestations de bonne volonté écologique fournissent en fait une des rares possibilités de négociations discrètes alors que l’évolution climatique actuelle réveille des appétits et des tensions internationales parmi les plus pé-rilleuses de notre temps. Il ne s’agit plus de conflits locaux et limités : autour du pôle nord, on ne trouve que les grandes puissances et leurs alliés directs. Tout affrontement signifierait l’entrée immédiate dans une guerre mondiale.
    Ce même mois de novembre 2008 a vu changer le statut du Groenland. Le 25, les habitants de l’île étaient appelés à s’exprimer dans un référendum permettant un nouveau pas vers l’indépendance. Possession danoise depuis plus de trois siècles, le Groenland jouit déjà d’un statut d’autonomie assez large, renforcé par la politique militaire des Etats-Unis qui y entretiennent la base de Thulé, un ensemble de radars, et poussent leurs pions pour l’exploitation des richesses minières et pétrolières.
    Depuis la fin novembre, après un oui à 75,5 % au référendum, le groenlandais est devenu la langue officielle et le gouvernement local est désormais habilité à négocier seul les contrats d’exploitation des richesses du sous-sol : outre le pétrole et le gaz, rappelons qu’il s’agit de diamants (sa production dépasse désormais celle de l’Afrique australe), d’uranium, d’or, de zinc et de plomb. Toutefois, Jens Frederiksen, chef de l’opposition groenlandaise, rappelle que le territoire autonome n’a pas “les moyens financiers d’assumer les responsabilités rétrocédées par le Danemark”. Il ajoute : “Et c’est une illusion de croire que les ressources du sous-sol, encore hypothétiques, vont asseoir les bases de notre économie afin de réaliser notre indépendance”, ce qui suggère que d’autres pourraient être tentés de s’en emparer avec des contrats plus propices à leurs intérêts qu’à ceux de l’île. Ce référendum marque l’aboutissement d’un très long travail de la diplomatie américaine, ouverte ou discrète, depuis les débuts de la Guerre froide, afin de détacher le Groenland de l’orbite danoise pour le rattacher à la zone d’influence directe des USA, conformément à la doctrine Monroe.
    L’année universitaire 2007-2008 qui vient de s’achever était une Année polaire internationale, marquée par plusieurs recherches scientifiques financées par des gouvernements aux arrières-pensées moins désintéressées. Les expéditions canadienne et européenne, de retour, commencent à publier leurs rapports. L’estimation qui fixait vers 2050 la fonte totale des glaces de la banquise est revue de manière drastique. Au rythme actuel, c’est vers 2015 que l’océan Arc-tique pourrait devenir une mer libre, au moins l’été. Jean Claude Gascard, océanographe, coordinateur du programme européen Damoclès, apporte une précision importante : “L’effet de serre n’est plus le seul responsable du réchauffement climatique. Il est désormais secondé, voire dépassé par l’effet Albédo, qui mesure le rapport de l’énergie solaire réfléchie par une surface sur l’énergie solaire incidente.”
    Si ces perspectives effraient les écologistes ainsi que les pays aux plaines côtières basses qui redoutent une montée dramatique du niveau des mers, elles réjouissent de nombreux acteurs de l’économie mondiale. En effet, un océan arctique libre de gla-ces, au moins près des côtes, navigable mê-me de manière saisonnière, réduirait de manière drastique les distances et les coûts de transports des échanges entre Chine, Russie, Etats-Unis, Europe et Canada. Le my-thique passage du nord-ouest redevient d’actualité, ainsi que son jumeau russe, le passage du nord-est vers le détroit de Béring.
    L’Allemagne vient d’annoncer, le 5 décem-bre, la construction du brise-glace “le plus puissant du monde”, capable de circuler même en hiver. “Aurora Boréalis” mesurera 199 m de long et sera capable de briser des cou-ches de glace de 15 mètres d’épaisseur et de forer jusqu’à 1.000 mètres dans les sols marins situés à 5.000 mètres de profondeur, y compris dans des glaces en mouvement. De plus, il sera capable de naviguer dans les eaux houleuses de l’Atlantique ou de la Baltique, contrairement aux autres navires de ce type. Le projet vient d’entrer dans sa phase de financement et, pour trouver les 650 millions d’euros nécessaires, fait appel à un consortium international où l’Union européenne et la Russie seront partie prenante. Mais le 17 octobre déjà, l’institut allemand Alfred Wegener annonçait que son propre bateau de recherches, le “Polar-stern”, avait pu traverser les passages du nord-est et du nord-ouest sans avoir à briser la glace, ce qui signifie que les porte-containers pourraient d’ores et déjà utiliser ces routes maritimes pendant les mois d’été.
    Cela pose le problème de la propriété de ces chenaux. En ce qui concerne le passage du nord-ouest qui sinue entre les îles canadiennes, deux doctrines s’affrontent. Le Canada affirme sa pleine souveraineté sur ces chenaux et le 3 décembre, le ministre des Transports, John Baird, a présenté les dispositions votées par la chambre qui, selon le groupe CNW Telbec, “permettront au Canada d’exercer un contrôle accru et plus efficace des activités maritimes dans l’Arctique canadien tout en mettant l’accent sur la protection environnementale dans le Nord canadien.” Le ministre a ajouté : “Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger le patrimoine et la souveraineté de l’Arctique canadien. Les mesures annoncées aujourd’hui contribueront à appuyer le mouvement sécuritaire et écologique des navires dans les eaux arctiques du Canada.” La nouvelle loi porte de 100 à 200 milles nautiques la limite des eaux territoriales afin de faire respecter la réglementation canadienne anti-pollution, plus stricte que celle de l’OMI. Accessoirement, la souveraineté sur ces eaux et sur le passage entre les îles permettrait au Canada d’exiger un droit de péage. Face à ces revendications, les USA et l’Union européenne plaident pour un statut international analogue à celui du canal de Suez, du canal de Panama ou du Danube.
    Outre les économies substantielles que permettrait le passage du commerce international par l’Arctique, les richesses propres de cette région réveillent toutes les convoitises. Rappelons qu’il s’agit d’un océan, soumis seulement au droit de la mer et pour lequel n’existe pas de statut spécifique comme pour le continent antarctique. Or ce droit permet aujourd’hui d’étendre la zone d’exploitation privilégiée jusqu’à 200 milles des côtes, voire davantage si l’on peut prouver que des roches sous marines prolongent le plateau continental. Cette règle parfaite pour la plupart des océans s’applique très mal aux mers fermées où ces zones peuvent se recouvrir, ce qui est le cas ici.

    D’énormes richesses minières

    L’agence gouvernementale américaine de recherche géologique (USGS) a récemment estimé à 412 milliards de barils les ressources inexploitées de pétrole et de gaz dans l’ensemble de l’Arctique, dont 84 % au large. Le gouvernement canadien vient de décider à la mi-novembre d’encourager l’extraction gazière en Arctique et d’assouplir la réglementation en vigueur afin d’étendre le réseau de gazoducs. La Norvège a demandé que sa zone d’exploitation exclusive de 200 milles soit calculée à partir de l’archipel du Spitzberg. L’Union Européenne, riveraine au travers du Danemark tant qu’il garde la souveraineté sur le Groenland et les îles Féroé, plaide pour une convention internationale. La Russie, depuis 2007, réclame l’extension de sa propre zone jusqu’au pôle nord, affirmant que la dorsale de Lomonossov prolonge son plateau continental. Le Groenland y voit le prolongement du sien. Il faut dire que cette dorsale regorge de minerais : argent, plomb, zinc, or, uranium et diamant. S’il est encore utopique de songer à les exploiter aujourd’hui, la perspective de la fonte des glaces vers 2015 et les progrès techniques, tels que les bathyscaphes russes qui ont atteint le sol marin en 2007 à la verticale du pôle ou le projet Aurora Boréalis, suggèrent que la prospection pourrait commencer dans les dix ans.
    Outre les minerais, l’océan arctique recèle d’autres richesses. Des chercheurs norvégiens de l’université de Tromso ont lancé une bioprospection systématique qui a déjà permis la mise au point de nouveaux médicaments comme le Prialt, un antalgique efficace contre les douleurs chroniques tiré du cône mage, un escargot de mer qui se sert de ce venin pour paralyser les poissons. L’équipe norvégienne du MARBIO collabore dans cette recherche avec un institut de Mourmansk, en Russie.
    Le 3 décembre, le Dr Jeannette Andersen, directrice de recherches, a présenté les premiers résultats : les 200 composés moléculaires de leur base de données, dont 9 sont particulièrement prometteurs. Elle a conclu : “Nous allons sans doute découvrir des quantités de nouvelles molécules qui nous permettront non seulement de concevoir de nouveaux médicaments, mais également de consolider nos diagnostics. Certaines pourraient même servir d’aliment fonctionnel.” Quand on sait les sommes pharaoniques que brasse l’industrie pharmaceutique, on voit que les enjeux arctiques, en ce domaine aussi, sont déterminants pour l’économie du siècle à venir.
    Face à l’ouverture climatique d’un tel coffre aux trésors, les inquiétudes des écologistes pèsent peu. Toutefois, ce même 3 décembre, une cour d’appel fédérale a jugé illégale la décision de l’administration Bush de permettre à Shell d’exploiter le pétrole de la mer arctique de Beaufort, à proximité d’une zone protégée. Une coalition d’associations s’est lancée dans la guerre juridique, ajoutant les tensions intérieures aux rivalités internationales. Par delà cette victoire fragile et probablement sans lendemain, une inquiétude écologique plus réelle vient de se faire jour. L’équipe suédoise de l’université de Lund, dirigée par Torben Christensen, a profité de l’année polaire pour laisser sa station ouverte deux mois de plus. Les chercheurs ont alors constaté qu’au début de l’automne, quand la toundra commence à geler, les échappées de méthane constatées jusqu’ici uniquement au moment du dégel atteignent des pics jamais encore enregistrés. Ce constat réveille une incertitude, la possibilité que les variations de pression liées à la fonte de la banquise libère des quantités de méthane suffisantes pour transformer la composition de l’atmosphère terrestre. Pour l’instant rien ne permet d’affirmer ou d’infirmer ce risque potentiel mais il est probable que l’argument sera utilisé et médiatisé si les rivalités des pays riverains s’exacerbent.

    B. I. n° 139, janvier 2009.

    Bibliographie conseillée pour approfondir la question : Richard Labévière et François Thual, “La bataille du grand nord a commencé”, Perrin, 2008.
    Les auteurs s’attachent à replacer les tensions arctiques dans le contexte géopolitique global depuis la Seconde guerre mondiale.


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