• Le dessous des cartes (à puce)

    Le dessous des cartes (à puce)

    Les effets cathartiques des gémonies saoutiennes (aussi bien les coups donnés que les coups reçus) n’ont laissé à la surface de la planète santé que des traces bien insignifiantes. Caractéristique des médias d’aujourd’hui : l’information s’éteint aussi vite qu’elle s’enflamme. Cet épisode aura-t-il tout au plus confirmé que les ecchymoses portées aux derniers dinosaures libéraux, croisés de l’« anti-tout », ont cette étonnante propriété étiologique d’irradier l’ensemble de la médecine de ville. Pour cette fois, elle a été unanime à vouloir « laver l’affront ». Autre constat : il n’est pas sûr que les patients se reconnaissent dans la vindicte, la provocation et l’établissement d’un pseudo rapport de force avec les médecins, les généralistes en particulier, redoutables concurrents, dans le secret de leur cabinet, des organisations kouchnériennes censées exprimer depuis 2002 l’opinion des patients.

    Car de quoi s’agit-il ? D’où l’étincelle est-elle partie ? D’un constat de la Cour des comptes, comme elle en fait des tonnes, sur les non-utilisateurs de la carte Vitale, constat qui, replacé dans son contexte technique et économique, mérite mieux qu’une bataille de chiffonniers comme en atteste le décryptage de l’histoire de la carte Vitale. Une chronologie qui recèle plusieurs erreurs stratégiques majeures dont la responsabilité reste aujourd’hui encore embrouillée.

    Petit flash back.
    1984. Orwell, l’inventeur de « Big Brother » est encore dans tous les esprits. La Cnil1 est née six ans avant en réaction à des tentatives malheureuses de rapprochement de fichiers (qui se souvient de l’expérience avortée de SAFARI, sommet de la maladresse technocratique, sur le système d’identification des personnes ?) En 1978, c’est le législateur qui a protégé le patient en votant la loi informatique et liberté.
    En 1984 donc, Roland Moréno, génial ingénieur français, vient de mettre au point une « puce » intelligente, un microprocesseur collé sur une carte en plastique, capable de contenir huit pages d’information.

    Il y a à l’époque moins de 300 millions de feuilles de soins par an et plus de 90 000 agents « liquidateurs » dans les caisses. L’idée naît dans la tête d’une poignée de techniciens de la Cnamts, pionniers et un peu aventuriers, d’utiliser la puce non pas pour transférer la charge de saisie sur les médecins comme on l’a si souvent entendu, mais pour contenir les droits et les données d’identité (justement pour éviter de les ressaisir).
    Le projet est soumis à Maurice Derlin, omnipotent président FO de la Cnamts, qui se montre séduit mais reste sur ses gardes : son patron Bergeron le réformiste, successeur d’un prix Nobel, adulé par le pouvoir, ménage paradoxalement ses troupes, les trotskistes parisiens abrités sous le toit de la confédération FO avenue du Maine, chatouilleux sur les effectifs et prompts à l’insurrection. Derlin confie à Jacques Tillard, un cacique du CNPF, le soin de calmer le prurit des syndicalistes.
    La carte Vitale est donc vue comme une broyeuse d’emplois. Mais pour faire passer la pilule auprès des syndicats FO, elle est aussi présentée comme un outil de « flicage » des actes médicaux, « bouffer du médecin » étant un antalgique universellement reconnu.
    Première erreur stratégique de la Cnamts : la carte à puce pouvait devenir un projet de consensus. Obtenu sur la carte CPS (l’Ordre des médecins n’a-t-il pas piloté le GIP-CPS créé en 1993), un accord est presque atteint sur la carte Vitale avec Gilles Johanet, la même année, lors de la création du GIE2 Sesam Vitale. Mais au départ de Johanet, les inamovibles seconds couteaux de la Cnamts reprendront le dessus transformant l’assurance maladie en Fort Knox informatique.

    Comme le précise une note confidentielle de 1993 adressée à Douste-Blazy, ministre délégué à la santé de l’époque, le GIE Sesam Vitale ne sera d’ailleurs jamais un organe « politique » mais un instrument aux seules mains des différents généraux mexicains de la caisse nationale, longtemps taxée d’hégémonie par les organismes complémentaires.
    Conséquence de la première, la deuxième erreur vient de l’industrie de l’édition informatique. A partir du moment où la Cnamts faisait de la carte Vitale « sa chose », aucune volonté, en particulier du ministère de l’industrie, ne s’est dégagée en faveur d’une authentique politique industrielle. Les gros cubes de l’époque (Bull, Schlumberger et autres) ont attendu la demande.
    Mais comment une demande pouvait-elle s’exprimer alors que seulement 5 % des médecins étaient réellement informatisés et possesseurs des premiers logiciels de gestion de cabinet ?
    Conséquence : un développement anarchique de logiciels sur un marché occupé par une myriade d’aventuriers dont le piètre argument de vente était paradoxalement la télétransmission Sesam Vitale !
    La situation, alors qu’aujourd’hui 80 à 90 % des médecins télétransmettent, s’est-elle améliorée ? Non, à en croire les magistrats de la cour des comptes. Mais, moins en raison du manque à gagner que d’une situation pagailleuse, avec plus de 300 logiciels et plus de 150 éditeurs.

    C’est bien là que se situe le problème. Car au fond, même si l’addition est salée (200 millions d’euros) il n’y a pas plus de « calculateurs », de « récalcitrants » ou de « prudents » (pour reprendre la terminologie de l’enquête de la CPAM de Paris) chez les médecins que dans la société française.

    Et que serait l’addition pour le contribuable si le 1,2 milliard de feuilles de soins d’aujourd’hui devait être traité sans la carte Vitale comme au temps des Trotskystes de Bergeron (selon l’UCANSS, le nombre de techniciens est tombé à 30 000).

    Le plus grave, redisons-le, c’est l’extrême hétérogénéité d’une situation génératrice « d’anomalies techniques et de captation de données confidentielles » comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes. Croyez-vous que cela intéresse les patients ?

    1CNIL : Comission nationale de l’informatique et des libertés
    2GIE : Groupement d’interêt économique


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