• Le suaire de Turin, ou le nouveau visage de la science

    Le suaire de Turin, ou le nouveau visage de la science

    Quel sera le nouveau visage de la science au XXIème siècle ? Et si, grâce aux analyses effectuées sur le suaire de Turin, ce visage ressemblait de très près à celui de Jésus de Nazareth ?

    Pour le dire comme Baudelaire, depuis Voltaire, on s’ennuyait en France et le manteau de l’esprit scientifique avait recouvert notre pays de façon aussi sereine que des dizaines de milliers d’églises.
     
    Certes, une nouvelle ambition avait surgi, partout dans le monde : comprendre notre univers grâce à des expériences reproductibles. Alors oui, on avait évolué grâce à Darwin, on était gentiment déboussolé par la physique quantique, éperdu dans la cosmologie, bref, on batifolait dans la glorieuse incertitude du sort. Quand patatras, voilà-t-il pas que surgit un drap...
     
     
    Au début, ce n’est rien, ce drap. Ce "suaire de Turin". C’est un grand morceau de tissu troué, tâché, avec l’empreinte d’un homme difficilement visible à l’œil nu. Mais quand commence réellement la phase d’investigation scientifique, en 1898, c’est la surprise générale : ce drap de lin a beaucoup de caractéristiques d’un négatif photographique. En 1902, à l’Académie des Sciences de Paris, c’est l’embarras : on censure la communication d’Yves Delage, pourtant agnostique notoire, qui déclare y voir la trace du cadavre d’un personnage historique : Jésus de Nazareth. Dans l’église, c’est aussi le trouble. Loin de se réjouir, le chanoine et historien Ulysse Chevalier va jusqu’à truquer des documents pour prouver que l’on est en face d’un faux médiéval. Un agnostique contre un chanoine : la bataille à fronts renversés a bien commencé.
     
    Après ce début en fanfare, le suaire devient bien plus qu’un drap. Après des milliers d’heures d’études, une vingtaine de publications dans des revues internationales à comité de lecture, les scientifiques américains parlent d’un « mystère qui continue toujours ». Ils sont tout simplement incapables de dire comment l’image s’est formée. Ce que l’image n’est pas, ils le savent ; ce que c’est, ils en ont une idée précise, mais comment c’est arrivé là, telle est la question.
    Alors pour mettre fin aux différentes contestations et polémiques qui entourent l’objet, on décide de procéder à une datation C14 en 1988. Et là, stupéfaction et re-patatras : 1260-1390 ! Un intervalle contredisant les études précédentes qui penchaient de façon très majoritaire dans le sens de l’authenticité. Non sans humour, la presse mondiale déclare le suaire de Turin mort et enterré.
     
    Mais aujourd’hui plus de 20 ans ont passé, et parmi les spécialistes, (très) rares sont ceux qui pensent que le suaire ne date pas du premier siècle. D’un point de vue épistémologique, cette datation C14 ne peut d’abord être l’arbre qui cache la forêt des autres analyses. Par ailleurs au cours des dernières années, elle a été rudement attaquée, dépouillée de tout son prestige : toute une série d’études physiques et chimiques ont montré que l’échantillon prélevé n’était pas représentatif de l’ensemble. La dernière analyse statistique publiée en 2010 va dans le même sens. Nombre d’historiens pensent que la présence du suaire est attestée par les documents à Constantinople en 1204, voire avant. Et malgré les multiples déclarations et envolées médiatiques, nul ne peut, même avec les moyens technologiques actuels, reproduire les caractéristiques uniques présentes sur l’image. Il y a quelques mois, le chimiste et sceptique revendiqué Luigi Garlaschelli a proposé un modèle permettant selon lui de reproduire le suaire avec une technique médiévale. Manque de chance et de perspicacité, pour ce faire, il a été obligé d’admettre des faits que les soi-disant "sceptiques" avaient longtemps refuté en bloc et qui rendent l’image véritablement unique, le tout sans convaincre, même dans son propre camp.
     
    Finalement, on voit s’esquisser de plus en plus fortement un changement de paradigme, un retournement de situation. La démarche scientifique, pensée par beaucoup et pendant plusieurs siècles comme un cheval de Troie contre la religion, amène de plus en plus un ensemble d’éléments qui accrédite les récits fournis par les Evangiles. Et l’on ne parle là que du suaire, objet le plus connu, mais d’autres images tout aussi mystérieuses mais moins étudiées doivent aussi être mentionnées : on pense notamment ici au suaire d’Oviedo et au Voile de Manoppello. Freiner ces découvertes scientifiques sur la base d’un présupposé religieux paraît aussi bien faible : dire comme on l’entend parfois « ma foi n’a pas besoin du suaire de Turin » est bel et bon, mais c’est oublier que, Jésus ne mégota pas, si l’on peut dire, sur les miracles, comme c’est oublier que saint Jean eut besoin de voir le suaire (« il vit et il crut ») et que saint Thomas eut besoin non seulement de voir mais aussi de passer son doigt dans les plaies du Christ.
     
    Au terme de cette analyse malheureusement trop rapide, on constate que si le XXIème siècle a de grandes chances d’être religieux, c’est parce qu’il a de grandes chances de continuer sur la voie scientifique de la rigueur. Et si la science nous présente un nouveau visage, il ressemblera probablement à celui d’un homme ayant vécu il y a deux mille ans.
     
    Bibliographie : Quelques articles scientifiques sur lesquels nous nous sommes appuyés :
    • L.A. Schwalbe, R. N. Rogers, "Physics and Chemistry of the Shroud of Turin - A Summary of the 1978 Investigation", Analytica Chimica Acta, 135, 1, 1982, pp. 3-49.
    • R.N. Rogers, "Studies on the Radiocarbon samples from the shroud of Turin", Thermochimica acta, 425, 1-2, 2005, pp. 189-194.
    • E. Poulle, « Le linceul de Turin victime d’Ulysse Chevalier », Revue d’histoire de l’Eglise de France, vol. 92, n° 229, 2006, pp. 343-358. 
    • E. Poulle, "Les sources de l’histoire du linceul. Revue critique", Revue d’histoire ecclésiastique, vol. 104, n° 3-4, 2009 , pp. 747-782
    • L. Garlaschelli, "Life-size Reproduction of the Shroud of Turin and its Image", Journal of Imaging Science and Technology—July/August 2010—Volume 54, Issue 4, pp. 040301-(14)
    • M. Riani, A.C. Atkinson, G. Fanti, F. Crosilla, "Carbon Dating of the Shroud of Turin, Partially Labelled Regressors and the Design of Experiments", International Workshop on the Scientific Approach of the Acheiropoieta Images, 4-6 May 2010.
     

    par Cazab mardi 23 novembre 2010


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