• Un nouveau monde arabe

    Un nouveau monde arabe

    Dans une approche un peu optimiste, on pourrait considérer les facteurs de type systémique poussant à la mise en place d’un monde arabe évoluant pacifiquement, sans perdre ses spécificités, pour devenir un acteur actif dans l’évolution du monde multipolaire. Pour l’Union européenne, il y aurait un grand intérêt à ce que cette évolution se fasse en synergie avec la sienne.

    Sciences politiques
    Un nouveau monde arabe ?
    L'expression de monde arabe est traditionnelle, bien qu'utilisée dans des sens différents. Convenons ici qu'elle désigne un ensemble de pays regroupant environ 450 millions de personnes (selon les périmètres retenus). Ces pays s'étendent du Nord de l'Afrique à la péninsule Arabique et au Proche-Orient. On considère qu'ils partagent une culture arabe dominante, comportant de nombreuses variantes locales. Elle est caractérisée par la langue arabe dominante, par l'islam religion dominante et jusqu'à ces derniers temps, par un minimum de cohésion politique s’exprimant notamment dans l'appartenance à la Ligue arabe et à certaines positons communes notamment à l'ONU.

    Le fait que la religion musulmane soit répandue dans de nombreux autres pays du Proche et du Moyen orient, notamment la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan et les Etats du Caucase, ne permet pas de les considérer comme appartenant au monde arabe proprement dit. Cependant la proximité géographique et la généralisation des échanges d'informations à travers les réseaux favoriseront des influences croisées de toutes sortes, dont il sera difficile de suivre en temps réel et moins encore de prédire les effets.

    Aujourd’hui, la chute d’un certain nombre de régimes autoritaires, susceptible de s’étendre à l’ensemble des pays, ouvre une ère de grandes incertitudes. Il est facile de pronostiquer la généralisation de troubles plus ou moins graves résultant notamment de l’exacerbation des nombreuses divisions que nous évoquons ci-dessous (voir « Les divisions du monde arabe »). Mais, dans une approche un peu plus optimiste, on pourrait considérer les facteurs de type systémique poussant à la mise en place d’un monde arabe évoluant pacifiquement, sans perdre ses spécificités, pour devenir un acteur actif dans l’évolution du monde multipolaire. Pour l’Union européenne, il y aurait un grand intérêt à ce que cette évolution se fasse en synergie avec la sienne.
     
    Le pan-arabisme

    D'une façon générale, on peut prévoir que se généralisera un pan-arabisme politique et culturel qui tout naturellement, devrait être le pendant au mouvement pan-européen institutionnalisé depuis longtemps. Ce pan-arabisme, s'il se développe, sera représenté par les dizaines de millions de jeunes des classes moyennes éduquées regroupés autour d'Internet. Il devra, sans pouvoir les supprimer par un coup de baguette magique, transcender les profondes différences qui ont toujours marqué le monde arabe, rappelées ci-dessous.

    Ce panarabisme comportera une dimension philosophico-religieuse importante, du fait de la profonde pénétration de l'islam traditionnel dans les couches populaires. Mais rien n'oblige à considérer que les nouvelles élites reprendraient à leur compte des mots d'ordre radicaux, de type salafiste, prétendant mener la guerre aux mécréants, c'est-à-dire au reste du monde. Il n'est même pas certain que la majorité des musulmans du monde arabe voudront contribuer à la réalisation du rêve moyen-âgeux de l'Oumma, communauté mythique regroupant tous les musulmans du monde, correspondant à une « Chrétienté » elle-même mythique n'intéressant plus que des intégristes romains.

    Il est indéniable cependant que ce panarabisme ne sera pas d'emblée amical à l'égard de l'Europe. Il sera de fait cependant influencé par les valeurs de celle-ci. Il appartiendra aux Européens de faire en sorte qu'il ne lui devienne pas hostile. Ils devront convaincre les Arabes, par un dialogue ouvert, du caractère positif que comportent les valeurs européennes, notamment en termes de droits des citoyens, droits des femmes et séparation de la religion et de l'Etat.

    Ce faisant les Européens devront détacher leur action de celle des Etats-Unis, auxquels ils se sont depuis trop longtemps assimilés à l'intérieur du concept ravageur d'Occident. Les Etats-Unis, en dépit de l'accueil sympathique fait par Obama aux révolutions arabes, ne vont pas abandonner leur emprise politique et militaire sur le Moyen-Orient. Celui-ci recèle des richesses pétrolières et comporte des voies d'exportation du pétrole que les Etats-unis sous l'influence de leurs lobbies politico-industriels continuent à considérer comme vitaux pour leur survie. Mais l'Amérique n'a plus guère les moyens, sauf à déclencher une guerre nucléaire, de continuer à s'opposer à la revendication de peuples qui voudraient, par exemple, nationaliser à leur profit et non à celui des oligarchies les gisements pétroliers.

    Face à la véritable malédiction qu'a toujours représenté pour les peuples arabes la présence de pétrole dans leur sous-sol (voir ci-dessous « La malédiction du pétrole ») on pourrait très bien concevoir que l'Europe pousse à la nationalisation du pétrole par de futurs gouvernements démocratiques arabes. Cela ne signifierait pas nécessairement que ses compagnies pétrolières soient interdites d'opérer dans la zone. On retrouverait seulement une solution plus ou moins à l'oeuvre dans d'autres parties du monde, où les bénéfices pétroliers peuvent en principe contribuer à résoudre les difficultés économiques de pays manquant par ailleurs de ressources naturelles. Mais dans le cas d'ne nationalisation, les Etats arabes concernés devraient se préparer à affronter des mesures de rétorsion américaine pouvant être extrêmement dangereuses.

    Restera posée la question d'Israël. Si d'une part les gouvernements arabes voisins endossaient le rêve inacceptable de rayer Israël de la carte, si d'autre part ce dernier continuait à s'enfermer dans des attitudes inutilement provocantes, sans jouer la carte du dialogue démocratique, les relations du futur monde arabe et de l'Europe deviendraient très difficiles. Les historiens pourraient s'étonner de voir en ce cas comment la présence de quelques millions d'humains, les Israéliens, avait pu dresser l'un contre l'autre deux blocs de plusieurs centaines de millions d'autres humains, c'est-à-dire ceux peuplant l'Europe et le monde arabe.

    La encore nous pensons que l'Europe devrait sans tarder découpler son action de celle des Etats-Unis. Ce serait dorénavant à elle de réinitialiser le « processus de paix », en faisant clairement comprendre aux partenaires/adversaires que s'ils continuaient à refuser toute coexistence pacifique, ils pourraient encourir de sa part des sanctions de toutes natures, y compris militaires.

    Notes

    1. Les divisions du monde arabe

    Jusqu’aux évènements enclenchés depuis quelques semaines par les révolutions en Tunisie et en Egypte, le monde arabe se caractérisait en termes politiques par ses divisions :

    - divisions entre pays du Maghreb très proches à différents titres de l’Europe et pays du Proche et du Moyen Orient très largement conditionnés d'une part par la présence du pétrole et d'autre part par la relation avec Israël et l’influence américaine s’étant positionnée en soutien de ce dernier pays.

    - multiples divisions dites tribales, à l’intérieur de chacun des pays et au sein du monde arabe dans son ensemble. A celles-ci se superpose dans certains pays une division historique entre musulmans chiites et musulmans sunnites, qui peut dans certains cas, comme actuellement en Irak, conduire à de situations de pré-guerre civiles.

    - divisions entre minorités oligarchiques au pouvoir et classes sociales traditionnelles vivant à la limite de la pauvreté et subissant toutes les contraintes des crises économiques et climatiques.

    - présence dans certains pays de minorités actives non arabes et non musulmanes, luttant pour leur survie.

    - divisions entre pays disposant et ne disposant pas de la richesse du pétrole. Ces derniers bénéficient d’un appui vigilant des Etats-Unis et de l’Europe. Les autres affrontent des difficultés économiques considérables, dues au manque de ressources naturelles et à une démographie en expansion.

    - divisions entre pays ayant limité l’emprise politique de l’Islam et pays se considérant comme des théocraties et soutenant officiellement et en sous-main l’islamisme radical, sinon les mouvements terroristes. C’est le cas en particulier de l’Arabie saoudite sunnite et de l’Iran chiite.

    - divisions entre pays disposant d’un minimum de vie publique et de démocratie et pays à gouvernements autoritaires voire dictatoriaux.

    Pour les Etats-Unis et pour les pays européens, ces divisions étaient un atout dont ils jouaient pour éviter de se confronter directement à un monde arabe qui uni aurait été selon les cas soit un partenaire soit un adversaire incontournable. Elles fournissaient un prétexte pour ne pas voir les inégalités sociales grandissantes, l’impasse économique de tous les pays ne disposant pas de la ressource pétrolière, le lent développement d’une conscience commune d’appartenance contradictoirement représentée à la fois par un islam en plein expansion et par une culture démocratique véhiculée par le développement des réseaux sociaux sur Internet.

    La lutte contre le terrorisme officiellement menée par les régimes autoritaires était pour ces derniers un argument majeur permettant de se faire pardonner par l’Occident leurs abus divers. En fait, comme on l’a vu depuis, l’islamisme radical et les formes terroristes militantes qu’il pouvait prendre avaient tout à gagner du manque de démocratie dont souffraient notamment les jeunes des classes moyennes.

    2. La malédiction du pétrole

    On pourrait considérer que la présence de zones d’exploitation et de réserves pétrolières considérables, ainsi que le contrôle des voies maritimes d’exportation du pétrole, pourraient être pour le monde arabe une ressources géostratégique durable. En fait, il s'est agi jusqu'à présent d’une véritable malédiction. Plus encore que dans d’autres pays, le Nigéria, le Brésil ou la Russie, le pétrole a empêché l’essor d’une économie fondée sur l’exploitation des ressources traditionnelles et le développement de nouvelles technologies. Il a justifié l’implantation durable du capitalisme international et l’emprise militaire et diplomatique l’accompagnant. Il a financé dans les pays du Golfe le développement d’investissements de pacotille justifiant l’importation d’une main d’œuvre misérable et la mise en place de maffias profondément corruptrices.

    Le chroniqueur américain Thomas Friedman a récemment dénoncé dans un article très remarqué la complaisance de l'Amérique (comme de l'Europe et de l'Asie) à l'égard des régimes de l'Opep. Le discours de l'Occident était : « tant que vous maintenez la pompe à essence ouverte, vous pouvez faire tout ce que vous voulez par ailleurs » (voir http://www.nytimes.com/2011/02/23/opinion/23friedman.html?_r=1 ). Thomas Friedman fait à juste titre de ce néo-colonialisme de l'Amérique (de l'Occident) le principal responsable du décrochage du monde arabe. Rappelons que l'invasion de l'Irak dont tant de catastrophes ont découlé a été décidée sous la pression des lobbies pétroliers américains. Dans une certaine mesure, on peut considérer que le phénomène Ben Ladden a été inventé par eux pour servir de prétexte au renforcement de leur main-mise sur la zone.

    Si le pétrole était géré pour le bien commun des pays arabes et non pour l’intérêt des seuls gouvernements de l’Opep, il pourrait représenter un facteur utile d’enrichissement global - encore que son pouvoir corrupteur risquerait de s’étendre à tous les pays, comme le montre l’exemple de l’Algérie actuelle dont seule une oligarchie profite des revenus pétroliers. Mais pour que cette mutualisation se réalise, il faudrait que se mettre en place uns véritable fédération des Etats arabes. La perspective parait lointaine, mais on peut la croire inévitable, sous la pression des Etats pauvres qui refuseront de voir une infime minorité de riches bénéficier seuls des ressources pétrolières.

    3. Le rôle de l’Internet

    Tous les observateurs ont souligné l’importance des réseaux interactifs sur le modèle de l’Internet. Ceux-ci, mieux encore que la télévision qui restera toujours soumise, y compris en Europe, aux pouvoirs oligarchiques, permettront l’expression individuelle et collective de nouveaux militants ouverts aux problèmes du monde et à la nécessité du dialogue entre les peuples. On dira que nous exprimons là une vue optimiste à propos de ces technologies, qui peuvent aussi être des facteurs de contrôle et de mise en tutelle.
    L’exemple des Etats-Unis et de l’Europe montre que l’Occident, en ce domaine, a beaucoup de révolutions encore à accomplir pour qu’Internet, le téléphone et les outils communiquants distribués deviennent les supports d’une véritable libération des peuples. Mais on peut espérer que le mouvement se fera néanmoins et que l’éducation et la démocratie en profiteront largement, y compris dans le monde arabe.

    On pourrait craindre que dans des pays majoritairement de religion musulmane, vu le caractère conquérant que revendique actuellement l’islam, des intolérances de type « salafiste » se propagent par Internet bien plus vite que des comportement plus ouverts et tolérants. Les femmes en seraient le premières victimes, qui se verraient reléguées à la situation traditionnelle de dépendance qui est la leur au Moyen-Orient et dans de nombreux pays non-arabes de l’Afrique et de l’Asie. Le risque d’une islamisation qui prendra la forme de la réalisation de l’Oumma existe. Si cette communauté se réalisait et prenait une forme politique agressive, elle serait très mal ressentie par les Etats européens se reconnaissant dans la laïcité. Mais pourquoi, à l'exemple de tous ceux qui par delà les frontières politiques et les cultures, se rencontrent par Internet, ne pas parier sur le meilleur plutôt que sur le pire.

    Dans cet esprit, on pourra au delà de la réalisation d'un nouveau monde arabe ouvert au dialogue démocratique, parier sur la contagion de cet exemple au sein de blocs politiques encore très fermés, la Chine en tout premier lieu.

    par Automates Intelligents (JP Baquiast) (son site) samedi 26 février 2011


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