• La "fin de l'Euro" est-elle inéluctable ?

    La "fin de l'Euro" est-elle inéluctable ?


    "La tortue européenne nage sans carapace dans la mer en prétendant que les requins sont des poissons rouges (...) L’Europe "est devenue une zone de non-croissance relative dans le monde au sein de laquelle l’Allemagne conduit une politique de désinflation salariale compétitive ". Christian Saint Etienne est un économiste libéral reconnu, partisan d’une Europe fédérale et de la mondialisation. Pourtant, dans son dernier ouvrage, il attaque l’euro d’une manière radicale. Une lecture de Laurent Pinsolle.

    I - Le bien-pensant qui critique l’euro

     

    Christian Saint Etienne est un économiste reconnu, partisan d’une Europe fédérale et de la mondialisation. Pourtant, dans son dernier ouvrage, il attaque l’euro d’une manière radicale.

    Un bilan désastreux

    Pour lui, l’euro accentue les divergences entre ses pays membres. Pire, l’Europe « est devenue une zone de non-croissance relative dans le monde au sein de laquelle l’Allemagne conduit une politique de désinflation salariale compétitive ». Elle fait de « ses prétendus citoyens (…) des gladiateurs dans le cirque de la concurrence fiscale et sociale alors que les bêtes fauves surgissent de toutes parts ».

    Plus mordant, pour lui, « la tortue européenne nage sans carapace dans la mer en prétendant que les requins sont des poissons rouges. Les poissons rouges n’hésiteront pas à porter l’euro à deux dollars pour sortir plus vite de la crise, même si cela doit dévaster des pans entiers de l’économie européenne, et à déverser leur surplus de production en Europe, dont le marché est ouvert à tout vent ».

    La zone euro n’est pas une Zone Monétaire Optimale

    Il démontre une à une toutes les carences de l’euro. Tout d’abord, il souligne que « la monnaie est l’une des trois manifestations de la souveraineté d’une nation libre » et que « les trois millénaires d’histoire économique montrent qu’il ne peut pas y avoir de divorce durable entre souveraineté monétaire et souveraineté politique ». L’euro sans fédéralisme n’est donc pas tenable.

    Deuxièmement, il souligne que la zone euro n’est pas une Zone Monétaire Optimale. Il s’appuie sur la théorie du prix Nobel d’économie Robert Mundell, soulignant le manque de mobilité des travailleurs au sein de la zone et de fédéralisme fiscal. Il note également que les politiques économiques suivies sont divergentes et que les préférences nationales restent également très différentes. Seul point en faveur de l’intégration monétaire : le niveau élevé des échanges commerciaux au sein de la zone.

    Les conséquences désastreuses de l’euro

    Mais il y a pire : l’euro introduit des mécanismes pervers. Pour lui, « l’introduction de l’euro a accentué les divergences entre les performances de quelques nations qui ont su en tirer le meilleur parti, et celles des nombreux pays qui n’ont pas été capables de s’adapter à la nouvelle donne ». L’euro pousse à une concurrence non solidaire entre les pays, renforcée par le biais ultralibéral des institutions européennes.

    L’Allemagne a ainsi construit son nouveau modèle sur une plus grande compétitivité salariale que ses partenaires en bloquant les hausses de salaires (+2% de 1999 à 2007, contre +17% en France, +23% en Italie et +26% en Espagne), quitte à déprimer sa demande intérieure et sa croissance (la plus faible d’Europe depuis 1999). L’Irlande a construit le sien sur une  plus grande compétitivité fiscale. Et la Grande-Bretagne, en dehors de l’euro, peut recourir à la dévaluation pour se relancer.

    Bref, l’unification monétaire pousse à des comportements qui ont fait de la zone euro « une zone de faible croissance et d’iniquité croissante ». Pire, l’envolée de l’excédent allemand s’est fait principalement au sein de la zone euro et contre ses partenaires. Du coup, le commerce extérieur a eu une contribution négative annuelle de 0,45 point à la croissance de la France de 2002 à 2008 et de 0,9 point en Espagne.

    Une politique inadaptée

    Encore pire, il attaque la politique de la BCE en soulignant qu’elle a « la fâcheuse habitude de conduire sa politique de taux d’intérêt avec un retard systématique par rapport à l’évolution du cycle de l’activité réelle ». Il dénonce également « son absence de réaction à la forte appréciation de l’euro, notamment de 2005 au printemps 2008 », soulignant que « la croissance se casse dans la zone euro à partir du printemps 2007 et plonge au début de 2008, sans que cela ne (les) préoccupe en rien ».

    L’auteur propose également son analyse de la crise : excès de liquidités, déséquilibres monétaires, normes comptables « mark to market », normes prudentielles insuffisantes et marchés dérivés. Il faut noter également qu’il soutient que cette crise a également démontré les limites du marché, incapable de juger correctement la valeur de nombreux actifs, avant ou pendant la crise.

    Si le constat de Christian Saint Etienne rejoint en partie l’analyse des économistes alternatifs (au libre-échange près), les solutions divergent, ce que j’étudierai demain.

     

    II - Que faire après la fin de l’euro ?

     

    C’est bien tout l’intérêt de la démarche de Christian Saint Etienne que de démontrer qu’à terme, la monnaie unique telle qu’elle a été conçue, n’est pas tenable, et qu’il faut penser à un plan B. Il en propose même trois dans le livre, étant donnée l’incertitude que fait peser « la fin de l’euro ».

    Le pire et l’idéal

    L’auteur souligne malicieusement que tout a été fait pour permettre un retour aisé aux monnaies nationales. Les banques centrales nationales existent toujours. Les pièces ont une face nationale qui permettrait d’introduire instantanément un « euromark », un « eurofranc »… Et même les billets ont un code national ! Bref, le retour en arrière est possible et semble même avoir été étudié lors de la genèse de l’euro.

    Pour lui, le pire serait un retour aux monnaies nationales suivi de multiples dévaluations compétitives sans la moindre coordination. Il y voit un risque d’appauvrissement de la population et d’inflation. La solution qu’il semble préférer est une marche forcée vers le fédéralisme pour que la zone euro devienne (malgré elle) une Zone Monétaire Optimale. Il propose de fixer les frontières de l’Union ainsi que des règles minimales d’harmonisation des politiques fiscales et sociales.

    Il propose que la politique de change soit effectivement confiée à l’Eurogroup, qui imposerait ses décisions à la BCE. Il propose la mise en place de taux d’imposition minimums ainsi qu’une forte augmentation du budget de l’Union avec un renforcement du vote à la majorité qualifiée. Il suggère un Pacte de Stabilité encore plus strict, limitant les déficits à 1% en période de croissance et la dette publique à 45%.

    Un autre mondialiste idéaliste ?

    Pour lui, il est possible de construire un « modèle de croissance intensive » sur ces bases. Il faut s’appuyer sur trois ingrédients : « une politique monétaire favorisant la croissance dans la stabilité financière », « une main d’œuvre très qualifiée » et « des charges fixes nationales aussi faibles que possible sans rogner sur les équipements publics et notamment la formation de la main-d’œuvre ».

    Ainsi, l’Europe pourrait peser sur la réforme du système monétaire et financier international, en poussant à une réduction des déséquilibres commerciaux, une coordination des politiques de change, une augmentation des moyens des banques centrales, la fin des paradis fiscaux et enfin, une gestion globale des ressources naturelles.

    Pour la finance, il souhaite encadrer les innovations, bien différencier les statuts des banques, limiter à 70% (sic) la part des créances qui peuvent être titrisées, l’encadrement des échanges de produits dérivés, la mise en place de normes prudentielles contra-cycliques, la fin du « mark to market », un meilleur encadrement des agences de notation ainsi qu’une réforme des bonus (gelés pendant plusieurs années).

    La voie proposée

    Cependant, l’auteur reconnaît que la voie fédéraliste, si elle serait rendue possible par un véritable coup de force du couple franco-allemand menaçant de quitter l’Union, est hautement improbable. C’est pourquoi il plaide finalement pour la constitution d’un Système Monétaire Européen renforcé avec le retour des monnaies nationales. Il propose que les ajustements de taux de change soient proportionnels aux écarts d’inflation, mais « inférieurs (…) pour obliger les Etats membres à amplifier leurs réformes structurelles », obligation encore renforcé par un pacte de stabilité plus dur.

    Il propose également un « autre modèle de croissance » fondé sur l’innovation et la compétitivité. L’Etat doit s’appuyer selon lui sur une dizaine de métropoles motrices, des régions renforcées ainsi qu’une grande région Ile de France, qui peut concurrencer New York, Londres ou Shanghai. Il propose un partenariat avec les grandes entreprises Françaises, les multinationales que l’on veut attirer et d’autres pays.

    Le modèle proposé par l’auteur rappelle celui proposé par Dominique de Villepin dans son livre mais la chronologie de publication laisse entendre que l’ancien Premier Ministre a sans doute lu et été inspiré par ce livre pour le sien. Cependant, le modèle proposé par Christian Saint Etienne rappelle beaucoup le modèle allemand qu’il critique, fait de soumission à la mondialisation et au dogme de la compétitivité (couverture commode aux licenciements et à la stagnation salariale). Plutôt que de changer la mondialisation, il préfère essayer de construire un nouveau bateau pour surfer sur ses vagues instables.

    L’auteur a le mérite de remettre en question les dogmes de l’euro qui font partie intégrante de la « pensée unique ». Malheureusement, quand il en vient aux solutions, il ne propose qu’une soumission intégrale au modèle du marché roi qui vient pourtant de s’effondrer. Dommage…


    Source : Christian Saint Etienne, « La fin de l’euro », Bourin éditeur


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