• Le Grand d’Échiquier d’Asie Centrale_partie 7

     

    Le Grand d’Échiquier d’Asie Centrale_partie 7

    La stratégie chinoise du « collier de perles »

    C’est notamment pour faire transiter le pétrole iranien vers l’Océan Indien et assurer la sécurité des supertankers que Gwadar fut choisi par la Chine dans une colossale stratégie maritime surnommée le « collier de perles ». Une théorie, développée par le cabinet d’études stratégiques Booz-Allen-Hamilton travaillant pour le Pentagone, considérée par tous les états-majors du monde, de même que par les services de renseignement et les centres spécialisés en géostratégie, comme une évolution stratégique majeure de la Chine. Pour définir le « collier de perles », il représente un vaste réseau de ports, les « perles », et de bases navales formant le « collier » sous la forme de stations d’écoute, d’accords navals et d’accès portuaires, dans l’Océan Indien y compris les côtes orientales de l’Afrique et depuis le Golfe Persique au Détroit de Malacca, connectant ainsi la Chine aux ressources énergétiques du Moyen-Orient et d’Afrique.

    Simultanément géoéconomiques et géostratégiques, certaines « perles » sont considérées de grandes importances pour la marine nationale chinoise (People’s Liberation Army Navy), notamment pour accueillir ses sous-marins nucléaires non-officiellement reconnues par Pékin qui, par la voix de ses diplomates et de ses responsables politiques, semble camper pour le moment sur une ligne de déni absolu. Et d’autres « perles » pour permettre à ses pétroliers d’y faire escale sur la route stratégique depuis le Golfe Persique. Il est important de préciser que toutes ces « perles » ne sont pas des ports et des bases navales exclusivement chinois mais comme les Etats-Unis dans la plupart des cas, les Chinois sont autorisés à utiliser des installations déjà existantes, à les renover ou à en construire de nouvelles. Les accords sont par conséquent révocables. Il faut donc noter que certains ports sont temporairement exploités et d’autres sont directement financés comme au Soudan et au Kenya. Nombre de ces ports sont en cours de développement, d’autres ont déjà été inaugurées et quelques uns intéressent la Chine de retour sur les mers comme au temps de ses flamboyantes jonques. Toutefois, la Chine ne se contente pas seulement de renover que les installations portuaires. Généreuse, la Chine dépense énormement dans diverses infrastructures, dans ces pays stratégiques, allant de la rénovation des routes et des voies ferroviaires à la construction de centrale électrique. Je signalerai donc dans une liste non-exhaustive selon les dernières mises à jour au 20 février 2010 : 

     

    • la Birmanie (Myanmar), les ports de Kyaukphyu au nord, de Rangoon, de Thilawa, de Thandwe, de Munaung, de Hainggvi, de Yangon au sud de Sittwe, les sites des îles de Katan et de Zadaikyi ainsi que la base de l’archipel Mergui au large du Tenasserim et enfin, l’île Coco dans le Golfe du Bengale à proximité de la base indienne des îles Andaman, où ils ont également installé une station d’interceptions électroniques, pour observer les tirs d’essais de missiles indiens de Chandipore lancés dans l’Océan Indien à partir des côtes de l’Orissa, mais qui a été extrêmement endommagée à la suite du tsunami en décembre 2004 et n’aurait ainsi pas été réparée depuis, malgré les demandes des généraux chinois.
    • le Pakistan, le port de Gwadar qui est sans doute destiné à devenir la base la plus importante de la marine nationale chinoise avec les installations pakistanaises d’Ormara sur les côtes de l’Océan Indien.
    • le Bangladesh, le port de Chittagong dont la modernisation est en cours avec la collaboration de la Corée du Sud.
    • le Sri-Lanka, les ports de Colombo et de Hambantota, ceci est la dernière des « perles » de la stratégie chinoise pour contrôler les voies maritimes entre les Océan Pacifique et Océan Indien.
    • les Maldives, le port de l’île de Marao, dont l’atoll, à 40 kilomètres au sud de la capitale, aurait été loué pour 25 ans à la Chine que les experts du « collier » suspectent de devenir une base sous-marine.
    • l’île Maurice, la capitale Port-Louis visitée en février 2009 par Hu Jintao mais aucun accord militaire précis mentionnant la construction de bases navales n’a été ratifié entre Pékin, l’île Maurice et les Seychelles.
    • les Seychelles, le port de Victoria dont la valeur stratégique pourrait faire un rival de poids à la base américaine insulaire Diego Garcia située dans un atoll de l’archipel des Chagos où des bombardiers furtifs B-2 sont présents et bientôt quatre sous-marins nucléaires grâce à un port flottant [41].
    • le Cambodge, le port de Woody Island.
    • le Kenya, le port de Lamu [42].
    • le Soudan, Port-Soudan sur la mer Rouge [43].

    les facteurs géopolitiques et géostratégiques de l'Océan Indien

    les facteurs géopolitiques et géostragétiques de l'Océan Indien

    Source de la carte : Rivalités maritimes en Asie (Philippe Rekacewicz)

    tracé de la route maritime du pétrole vers la Chine

    Les exportations africaines vers la Chine sont essentiellement du pétrole (plus de 60 % du total) d’Angola (premier fournisseur de brut de la Chine), de Guinée Equatoriale, du Soudan et de la République démocratique du Congo ainsi que des minéraux, du bois et diverses matières premières comme le manganèse, le fer, le cuivre, le chrome et le coltane (minerai rare utilisé dans la production de puces de téléphones portables). Pour donner une petite idée du chiffre, le montant du commerce sino-africain a été multiplié par 20 en 10 ans. Il est passé de 5 milliards de dollars en 1995, à environ 100 milliards de dollars annoncés en 2008. A titre d’information, il est bon d’également signaler ici, dans l’exploitation portuaire hors de Chine et hors de l’océan Indien, le poids croissant que prend la seule entreprise chinoise Hutchison Whampoa Ltd (Hong Kong) du milliardaire chinois Li Ka Shing dans la prise de contrôle de terminaux portuaires. Cette société gère aujourd’hui 39 ports ou terminaux à conteneurs dans 19 pays. En Europe ce sont les ports de Felixstowe, Thamesport et Harwich au Royaume-Uni, et les terminaux d’ECT-Rotterdam et Gdynia en Pologne. Avec Taiwan et Singapour (Port of Singapore Authority), ce sont, en plus, les ports suivants qui sont à présent contrôlés par des intérêts chinois : Colon au Panama, Tarente en Italie, Tacoma, Oakland et Longbeach, New York-New Jersey aux Etats-Unis. 

    D’une importance stratégique de premier ordre également pour la Chine et le Japon mais aussi pour les relations commerciales Occident-Orient, c’est par le Détroit de Malacca, long de 800 km et large de 50 à 320 kilomètres (2,8 kilomètres de large dans son point le plus étroit) situé entre la Malaisie et l’Indonésie, que plus de 50.000 navires passent chaque année, 20 à 25 % du transport maritime mondial et la moitié du commerce maritime de pétrole, 1,5 millions de tonnes de pétrole y transite par jour (plus de 11 millions de barils par jour en 2003), neuf fois plus que le canal de Suez. 

    Aigle, Tigre et Dragon

    On sait également que les îles Spratley sont disputées par la Chine, Taiwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et le Sultanat de Brunei. Les îles Paracels sont quant à elles réclamées par la Chine qui les occupe depuis 1974, le Vietnam et Taiwan. Les îles Senkaku (Diaoyutai) ne sont disputées qu’avec le Japon. Selon l’étude de Booz-Allen-Hamilton : « La Chine ne cherche pas seulement à bâtir une marine de haute mer pour contrôler les routes maritimes, mais aussi à développer des capacités de missiles et de mines sous-marines pour dissuader toute attaque sur ses lignes d’approvisionnement énergétique de la part de menaces potentielles, ce qui inclut l’US Navy, particulièrement en cas de conflit avec Taïwan ». Tout comme le principal rival régional, l’Inde, se sentant encerclé, les Etats-Unis voient d’un très mauvais oeil le « collier de perles » qui affaiblit sa domination dans l’Océan Indien et sa capacité de projection militaire en Afrique oriental comme en Somalie, en Asie Centrale et du Sud-Ouest ainsi qu’au Moyen-Orient. 

    les présidents chinois Hu Jintao et américain Barack H. Obama

    Sans nul doute, les diverses avancées chinoises dans sa stratégie du « collier de perles » sont une raison essentielle de la grande vente d’armes américaine, le samedi 30 janvier 2010, à Taïwan selon une proposition datant de 2001, d’un coût de 15 à 18 milliards de dollars incluant huit sous-marins diesel-électriques, quatre anti-missile guidés, douze avions de patrouille maritime Lockheed P-3C et d’avion anti-sous-marin, des hélicoptères de dragage de mines, 60 hélicoptères Black Hawk (3,1 milliards), des missiles pour un côut de 421 millions de dollars pour les avions de combat F-16, 114 missiles anti-missile Patriot (2,81 milliards de dollars), des torpilles, des missiles Harpoon anti-navires, des véhicules d’assaut amphibies ainsi que des mortiers de 155 millimètres. Quel arsenal, de destruction maritime ou de défense territoriale, pour un si petit pays que la Chine a toujours considèré comme une de ses provinces. Cette vente d’armes à Taïwan a refroidi les relations commerciales et attisé les relations diplomations déjà très tendues entre la Chine et les États-Unis. Fin janvier 2010, le président Hu Jintao adressait son mécontentement au président Barack H. Obama en le menaçant de sanctions économiques et en guise de première protestation, Pékin a déjà suspendu tous ses échanges militaires avec Washington. Dans une précédente conférence de presse au Camp Smith de Honolulu, Hawai, le secrétaire de la Défense Robert Gates, a déclaré qu’il énumérerait les activités américaines et initiatives dans la région de l’Asie du Pacifique : « Il est tout a fait clair que nous restons profondément engagés, que nous sommes activement engagés, que nous avons été une puissance asiatique – une puissance Pacifique – pour un très long terme et que nous prévoyons de continuer à en être une » [44]. 

    la base américaine de Futenma

    Ces arrogantes paroles survenaient en 2007, bien avant l’important changement politique survenu au Japon, fin septembre 2009, qui a vu la montée au pouvoir des libéraux-démocrates après avoir été maintenu plus d’un demi-siècle par les conservateurs. La nouvelle classe politique a demandé au Premier ministre Yukio Hatoyama le retrait des troupes américaines sur son sol ou le déplacement de ses bases militaires étant à la fois les sources constante d’irritation de la population locale à cause des nuisances et fréquente de disputes diplomatiques au sujet des coûts respectifs. Principalement visées, dans un premier temps, la base aérienne de Yokota, située en plein coeur de la mégalopole de Tokyo, et la base de Futenma, située au coeur de la zone urbaine d’Okinawa, au sud du Japon, qui abrite le plus gros du contingent américain au Japon ainsi que la plupart du matériel et des ressources de l’armée américaine dans l’Océan Pacifique. Un accord conclu, en 2006, entre Washington et Tokyo prévoyait déjà le déménagement de Futenma vers la baie de Henoko. Dans une annonce faite au Pentagone au mois de décembre 2009, le général James Conway, commandant du Corps des Marines, a averti que la perte de Yokota et Funtenma risquait de remettre en cause tout le programme de réorganisation des bases américaines du Japon, y compris le retrait de plusieurs milliers de Marines de la base d’Okinawa vers l’île américaine de Guam prévu en 2012. Il y aurait 47.000 soldats américains présents sur le sol japonais dont la moitié sont basés à Futenma. Le 15 février dernier, le sénateur démocrate Jim Webb, qui dirige au Sénat la sous-commission des Affaires étrangères chargée de l’Asie orientale, a déclaré : « Je pense que la présence militaire américaine au Japon peut être modifiée. (…) C’est la seule région au monde où les intérêts stratégiques et militaires de la Chine, de la Russie, du Japon et des Etats-Unis se rencontrent » en parlant de la stabilité du nord-est de l’Asie. Le gouvernement japonais doit rendre sa décision d’ici la fin du mois de mai 2010 [45]. Du fait de partager certaines similitudes, le Japon s’aligne sur la Chine entreprenante, surtout en matière de sécurité pour son approvisionnement énergétique dans les mers indiennes du Détroit d’Ormuz au Détroit de Malacca. Le départ des troupes américaines du Japon aurait de graves conséquences sur la stratégie globale de l’US Navy pour l’Océan du Pacifique et d’Océan Indien en Asie du Sud-Est. 

    Conclusion

    Jadis, le Grand Jeu ne s’est achevé qu’en semant la discorde entre les religions attisées, entre les tribus manipulées, entre les ethnies spoliées et entre les nations nouvellement créées. Ce n’est pas un hasard que certaines personnes nomment le Grand Échiquier d’Asie Centrale de Nouveau Grand Jeu. « L’homme du 20ième siècle est moins confiant que son ancêtre du 19ième siècle. Il a été témoin et a fait l’expérience des pouvoirs maléfiques de l’histoire. Ce qui semblait appartenir au passé a ressurgi : la foi fanatique, les dirigeants infaillibles, l’esclavage et les massacres, le déracinement de populations entières, la barbarie impitoyable. » Hans Kohn cité par l’actuel conseiller géostratégique Zbigniew Brzezinski de Barack H. Obama, à la page 270, de son célèbre ouvrage, le Grand Échiquier. Les énormes défis énergétiques de la Chine et de l’Inde du 21ième siècle mais aussi du mode de vie de l’Occident sont au coeur des enjeux géostratégiques disputés en Asie Centrale. Désireuse de limiter ses échanges avec l’Arabie Saoudite, la Terre Sainte de l’Islam, l’hyperpuissance étatsunienne, qui a bâti une large partie de son hégémonie sur la manne pétrolière saoudienne, s’est donnée la mission divine de contrôler la moindre goutte de pétrole dans le monde et d’en réguler tout le trafic. Ce qui implique l’interdiction de certains pays à le vendre à d’autres pays, sans leur accord préalable. Dans son arrogance, la Statue de la Liberté peut tirer une bien vilaine grimace. Par ailleurs, l’Océan Indien est devenu un autre enjeu majeur entre Pékin et Washington. Nous pouvons clairement constater que chaque nouvel événement mineur ou majeur dans la géopolitique de l’énergie, que ce soit des négociations de projets de construction de pipeline ou des contrats d’attribution de quota énergétique, déclenche une recrudescence flagrante des activités terroristes et de piraterie dans la zone circonscrite d’acheminement de l’énergie par gazoduc, oléoduc ou voies maritimes. Est-ce une pure coïncidence ? Il n’y a qu’à suivre les informations géopolitiques pour en douter. Est-ce que le Pakistan est menacé d’une balkanisation, d’une nouvelle partition ? La Chine a beaucoup investi dans ce pays mais, sachant que George W. Bush s’est passé de toute autorisation onusienne pour attaquer l’Irak, le droit de véto au Conseil de Sécurité suffira-t-il à Pékin, et Moscou, pour empêcher Washington de balkaniser le Balouchistan ? Est-ce que sous la pression d’Israël, Barack H. Obama va finalement craquer en se hasardant à attaquer l’Iran ou simplement changer son fusil d’épaule ? Est-ce que c’est la poudrière du Moyen-Orient qui va s’embraser à nouveau, le brasier d’Asie Centrale qui va s’étendre un peu plus ou, dans un registre fataliste, une troisième guerre mondiale qui va éclater avec une majorité d’acteurs principaux – la Chine, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde, le Pakistan et la Russie – possédant tous un arsenal d’armes nucléaires ? Les prochains mois s’annoncent particulièrement caniculaires et d’autant plus intéressants à surveiller de très près car de toute évidence des décisions cruciales vont être prises à la Maison Blanche.

     

    Saïd Ahmiri


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