• Libye :Où est l’horizon stratégique ?

    Libye :Où est l’horizon stratégique ?

    Notre guerre à la Libye est donc déclarée. "Prestige", "grandeur" retrouvés de notre politique étrangère ? Concours d’aveuglement plutôt quand on se penche sur la faiblesse de l’attelage des coalisés, à la teinte très atlantiste : abstention de l’Allemagne, de la Russie, du Brésil, de la Chine et de l’Inde. Fol retournement surtout contre un régime auquel nous proposions il y a peu nos Rafales à l’exportation. On cherche désespérément la constante. L’unisson des superlatifs cache mal l’absence totale de vision stratégique qui semble avoir présidé à cette décision. Quel est le plan du gouvernement français ? Une campagne de bombardement ? Soit. Conjecturons que la coalition parviendra sans mal à gagner la maîtrise du ciel et à couper les lignes de ravitaillement des forces loyalistes avec un minimum de friction, ce qui est sur le point d’être obtenu. 

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    Sur le papier, la chose est quasi écrite : ni la flotte de vieux Sukhoï ni la DCA antédiluvienne ne constituent d’obstacles majeurs. Et après ? Les campagnes du Kosovo et d’Irak nous ont appris à quel point les vertus stratégiques de l’Air Land Battle sont limitées.


    Aucune dictature n’est jamais tombée après une campagne de frappes aériennes. L’opération "El Dorado Canyon" menée par les Etats-Unis en 1986 sur la Libye permet d’en juger.

    La zone d’exclusion aérienne est une option tactique, mais où est l’horizon stratégique ? Une telle opération pourrait effectivement entraîner un gel des forces belligérantes et les sanctuariser. Nous aurons gagné un statu quo incertain. Sur quoi pourrait-il déboucher ? Une partition provisoire du pays entre la Tripolitaine, sous contrôle du clan Kadhafi, et la capitale de la Cyrénaïque, Benghazi, où s’affaire une improbable rébellion dépourvue de tout commandement unifié. Et après donc ? Officiellement, il s’agit de permettre aux insurgés de se désenclaver et de reprendre l’initiative.

    On sait que des livraisons d’armes légères via l’Egypte se font déjà depuis plusieurs jours. Mais qui sont ces rebelles ? Quel est le programme du Conseil national de transition ? Gageons là encore que les services français maîtrisent parfaitement les dynamiques politiques et tribales de la rébellion…

    Et après ? Entreprendre une opération au sol, suivie d’une énième séquence de nation building ? Rebâtir l’Etat libyen pour l’adapter aux canons de la mondialisation libérale euraméricaine ? Placer à la tête de la monarchie un Karzaï bis dans la personne d’Idriss II Senoussis ? Cristalliser contre l’envahisseur occidental les forces en présence et faire rebasculer la Jamahiriya dans le terrorisme ? La France et les Etats-Unis assurent qu’un déploiement terrestre n’est absolument pas à l’ordre du jour. La résolution 1973 est néanmoins assez ambiguë pour laisser l’option ouverte. De fait, la destruction, dimanche, autour de Benghazi, de chars de l’armée libyenne, qui ne sont pas des armes antiaériennes, la rend déjà caduque.

    Sans déploiement au sol, la seule option pour se débarrasser définitivement de Kadhafi serait de planifier et d’épauler une offensive de la rébellion d’abord sur les terminaux pétroliers, puis sur Tripoli avec…l’appui de l’aviation et des forces spéciales occidentales.

    La "légitimité morale" d’une telle intervention ne peut en rien fonder sa légitimité stratégique. Tout semble se passer comme si le gouvernement français avait voulu engager une contre-séquence pour compenser ses errements vis-à-vis des révolutions tunisienne et égyptienne et pour rédimer les ridicules de sa diplomatie. Peut-être aurait-il été inspiré de faire preuve de la même prudence cynique dans la gestion du dossier libyen. De fait, en durcissant trop tôt sa position et en prenant la tête de la cabale, Sarkozy a fini par se priver de toute alternative, peut-être trop vite persuadé que le régime Kadhafi allait s’effondrer de lui-même. Erreur manifeste. Le chantage auquel s’est livré le Guide en menaçant d’exproprier les compagnies pétrolières occidentales et de les remplacer par des sociétés indiennes et chinoises a également dû précipiter l’affaire.

    Espérons que notre stratège en chef ne s’appelle pas BHL, auquel cas il faut nous attendre à de cinglantes et pathétiques déconvenues.

    Georges-Henri BRICET DES VALLONS


    Chercheur 
    en science 
    politique, 
    spécialiste 
    des questions 
    de défense


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