• SOS, Athènes ne répond plus...

    SOS, Athènes ne répond plus...

    Quel est le problème ? C'est la dette grecque à peine diminuée après des mois de restrictions budgétaires. Les organisations internationales (FMI, BCE, Commission de Bruxelles) qui en demandent davantage, ont provoqué l'effet inverse de celui escompté : une protestation d'Athènes. Des dizaines de milliards d'euros 'investis' par les banques européennes (françaises d'abord) sont en jeu. Seront-ils remboursés, et quand ?

    L’expression ‘renvoyer aux calendes grecques’ remonte à l’Antiquité. Le calendrier romain fonctionnait sur le rythme lunaire. Chaque mois commençait par les ‘calendes’, journées au cours desquelles on annonçait les événements marquants et fêtes publiques à venir. Les premiers calendriers ou ’calendaria’ tiraient leur étymologie de cette césure mensuelle. Ils ne servaient pas qu’à dénombrer les jours du mois, mais plutôt à rappeler le montant des dettes et la date du remboursement de celles-ci par les débiteurs. Ces derniers avaient trente jours pour s’acquitter. Au terme de ce délai, le prêteur se rendait au domicile du débiteur récalcitrant, posait sa main sur son épaule et le sommait devant témoins de payer sa dette. Une fois prononcée cette ‘manu injectio‘, il pouvait s’emparer du débiteur et l’enfermer dans sa maison pendant soixante jours. Si à l’issue de ces deux mois, la somme était toujours dûe, la loi romaine autorisait le créancier à exposer l’endetté en place publique. La mise à mort et la vente comme esclave ont en revanche disparu à Rome dès la fin du IVème siècle avant notre ère [source].

    Une formule française prolonge la précédente : ‘quand les poules auront des dents’. Les Anglais disent ‘quand les cochons voleront’. Dans le cas de notre débiteur, cela veut dire qu’il n’a pas payé, et qu’il ne remboursera jamais. Partant de ce constat, on peut distinguer deux cas de figure. Première hypothèse, la somme dûe ne vaut pas pipette, juste un peu de liquide. Que le prêteur réclame justice et le débiteur passera pour un citoyen malhonnête, ce qu’il va tenter à tout prix d’éviter. Seconde hypothèse, le prêt dépasse les bornes. Le montant s’exprime non pas en milliers, ni en millions, mais en milliards d’euros. Extrapolons. Un groupe de banques prête cinquante-trois milliards d’euros. Le rapport s’inverse soudain. Car le débiteur sait bien qu’il ne pourra jamais trouver une somme pareille, à moins d’un miracle. Le prêteur a finalement commis une grave erreur, par aveuglement, par appât du gain, ou simplement par mauvais calcul. Il s’accroche néanmoins à un calendrier de remboursement, sans réfléchir ‘aux calendes grecques’.

    Evidemment l’histoire débouche sur une réalité bien concrête. Les ‘placements des banques françaises en Grèce s’élèvent à la mi-2010 à cinquante-trois milliards d’euros, dont plus de la moitié pour le Crédit Agricole (trente milliards). Suivent BNP Paribas, la Société Générale, et Banque Populaire (BPCE) - Natixis. Il s’agit à la fois de la dette privée et publique. La première banque française concernée dépend cependant davantage de la première que de la seconde. Car elle a pris des participations dans des actifs grecs (financement de navires), et dans la banque ‘Emporiki’ achetée en 2006 : 740 millions d’euros de pertes en 2010. « D’après les statistiques de la Banque des règlements internationaux (BRI) à fin 2009, les banques françaises sont exposées à hauteur de 75,172 milliards de dollars (57,41 milliards d’euros). Ce montant les place en tête des banques mondiales les plus exposées en Grèce. Elles sont suivies par les banques allemandes, qui le sont à hauteur de 45 milliards de dollars, la Grande-Bretagne pour 11,28 milliards de dollars et les Pays-Bas pour 8,95 milliards. Pour un montant total de 188,6 milliards de dollars (141,8 milliards d’euros) de créances pour les banques européennes et de 236,2 milliards de dollars (177,3 milliards d’euros) pour les banques mondiales. » [source]

    Le Figaro adresse cependant un bulletin de félicitations aux banques françaises. Les agences de notation toujours extralucides délivrent des notes flatteuses. Mercredi 16 février, la Société Générale devrait annoncer un bénéfice de près de 4 milliards d’euros. On attend le double pour BNP Paribas. Cocorico. « Cette tendance positive devrait se poursuivre en 2011. Les établissements devraient enregistrer une progression à deux chiffres de leurs bénéfices cette année, indique S&P dans une étude. Les analystes mentionnent notamment la maîtrise des dépenses et la baisse du coût du risque. L’activité d’assurance ‘devrait être un facteur de résultats’ en 2011 ajoute S&P. Concernant la banque d’investissement, l’activité de l’actuel exercice devrait se révéler moins volatile mais moins rentable, soulignent les analystes. Sur la banque de détail, les spécialistes de S&P prévoient un recul limité du coût du risque qui devrait favoriser une progression du revenu avant impôt. » Si je ne subodorais un absolu manque d’humour du rédacteur, j’en déduirais un sens de la formule très poussé : ‘baisse du coût du risque’, il a osé ! Mais il faut me rendre à l’évidence. La finance restera toujours un domaine sérieux.

    Il y a un peu plus d’un an (’El Zapatero‘), j’ai esquissé les grandes lignes du ‘problème’ grec : un déficit chronique entretenu par un gouvernement clientéliste et redistributeur, les recettes de l’Etat qui stagnent, parce que beaucoup de Grecs mentent sur leurs revenus ou fraudent le fisc. L’Europe communautaire, loin d’atténuer la tendance, l’a au contraire accentuée. Au printemps, confronté à une brusque dégradation de sa situation financière, l’Etat grec a du solliciter une aide extérieure. Sans le plan de sauvetage (110 milliards d’euros), Athènes ne pouvait plus emprunter raisonnablement sur les marchés internationaux. En vertu de l’accord final entre les organisations internationales et l’Etat, les Grecs supportaient la totalité de la charge, sans remise en cause des prêteurs (source). Mais la presse a retenu la partie de la conclusion la plus optimiste : la Grèce s’en sortait in extremis. Il restait quand même l’objectif imposé de réduction des déficits (de 9 à 3 % en 2012). Le ‘Financial Times‘ décortique un an après la situation présente de la Grèce. Le pays a connu une croissance négative en 2010 (- 4,2 %) et le chômage monte à grande vitesse : il serait aujourd’hui de 14 %, plus élevé encore chez les jeunes (20 %) [source].

    On assiste donc à la confrontation, comme à l’époque antique entre le prêteur et le débiteur. Des représentants du premier ont effectué une visite à Athènes la semaine dernière et ont rencontré les membres du gouvernement socialiste. La main sur l’épaule, et devant les journalistes européens, ils ont ensuite transmis leurs recommandations. On ne pourra mettre la Grèce en prison, mais l’analogie vaut. Sur le sujet de l’opinion publique grecque, Paul Thomsen (FMI) a certes admis qu’il ‘comprenait’ le caractère impopulaire des décisions. Mais encore ? Les grévistes vont à nouveau paralyser le pays le 23 février, comme ici dans les transports. La compagnie nationale de chemins de fer a annoncé la suppression de ses lignes vers la Bulgarie (source). Au gouvernement, la ‘Troïka’ (FMI, Commission de Bruxelles et BCE) demande pourtant un surcroît de recettes en contrepartie de la réception de la quatrième tranche d’aide financière (15 milliards d’euros). Il ne reste plus qu’une solution : ajouter aux mesures précédentes (baisse des salaires de fonctionnaires et des retraites, diminution des aides publiques), la vente d’actifs publics (source).

    La Tribune de Genève recense plusieurs sociétés susceptibles d’être privatisées : dans les transports (en particulier l’aéroport d’Athènes), l’énergie, les services et l’industrie de défense. « L’Etat grec va, par exemple, rechercher des partenaires pour leur céder une partie de sa participation de 99,81% au capital de Hellenic Defence Systems SA (HDS). Cette firme, née en 2004 de la fusion entre des compagnies fondées en 1874 (Pyrkal) et 1977 (EBO), gère neuf sites de production ou de stockage et emploie 1280 collaborateurs. Sur son site, HDS affirme exporter ses produits (armes de petit calibre, mortiers, etc.) ‘dans 40 pays’, mais les informations, notamment financières, qu’elle fournit sont très rudimentaires. Autre entreprise cherchant des capitaux frais : Trainose, seule compagnie de chemins de fer d’importance du pays. Cette firme occupe 1800 salariés mais là encore, impossible de recueillir la moindre donnée financière sur son site. Selon un article du Monde, cette compagnie serait lestée par une dette de… 10 milliards d’euros ! » Les créanciers n’ont-ils pas poussé le bouchon trop loin ? Je ne vois rien dans ce descriptif qui ressemble à un trésor caché.

    En revanche, l’exaspération des Grecs a monté d’un cran. Et si une majorité d’entre eux repoussaient le remboursement de la dette… sine die ? Les Grecs ont désormais largement pris leur part du fardeau. En exposant le débiteur sur la place publique, le créancier romain obtenait une rétribution symbolique. Cette peine a été prononcée à mon sens lors de la proclamation du plan de sauvegarde. La ‘troïka’, joue me semble t-il avec le feu, risquant de provoquer un rejet massif de la part d’une population poussée à bout. Le Premier Ministre, George Papandréou a d’ailleurs cru bon de rejeter publiquement l’extension des privatisations (au prix d’une probable volte-face). Au printemps dernier, une rumeur lancée (?) par un journal populaire allemand a enflé à propos de la vente d’îles pour désendetter l’Etat grec. Elle a déclenché des réactions offusquées à Athènes (source).

    Jean-Claude Trichet se déclare hostile à toute restructuration de la dette grecque (source). Jacques Delpla (’Echosnoclaste‘) propose en complément une taxe sur l’immobilier sur dix ou quinze ans, seule façon à ses yeux de contrecarrer l’évasion fiscale. [1] De toute évidence, l’argent prêté dans le cadre du plan de sauvegarde ne sera pas rendu aux banques. En l’honneur du Crédit Agricole, de BNP Paribas et de quelques autres, je dirai ’quand les coqs auront des dents’. Au pire - Elie Cohen a imaginé en mai dernier un défaut bancaire ‘originaire’ de Grèce - le gouvernement français volera au secours de nos ‘champions’ nationaux. Après le renflouement de l’automne 2008 (source), les banques françaises ont précédé les calendes grecques pour rembourser l’aide de l’Etat. On sait ce qu’il est advenu de leur indépendance retrouvée (source).

    PS./ Geographedumonde sur la Grèce : Quiproque grecLes evzones de mer et Ne pas confondre tête de pont et plaque tournante

    • [1] Enfin, pour éviter que d’autres pays ne soient tentés de suivre les Grecs, l’Union devrait demander à la Grèce en garantie de la dette le prélèvement d’une taxe exceptionnelle et unique sur l’ensemble de l’immobilier des ménages et entreprises grecs de 20 %, payable sur dix ou quinze ans (ce qui rapportera au total l’équivalent à 60 % du PIB grec). La taxe reprendra une partie de l’évasion fiscale passée dont le principal réceptacle était l’immobilier. En soldant une fois pour toutes les comptes du passé par une double expropriation des responsables de la tragédie grecque (investisseurs par la restructuration et propriétaires grecs par la taxe à 20 %), cette mesure permettrait à la Grèce de se focaliser sur son avenir, notamment en attirant massivement de l’investissement direct étranger qui saurait que le fardeau de la dette passé ne menacerait plus la croissance future du pays. Mieux vaut Hermès, dieu du commerce, que Sisyphe, faisant rouler éternellement sa dette.

    Incrustation : coq du sac à dos

    par Bruno de Larivière (son site) mardi 15 février 2011


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