• Tunisie : « Il faut que la France se rattrape »

    Tunisie : « Il faut que la France se rattrape »

    vendredi 28 janvier 2011
     

    Il est Franco-Tunisien et travaille au centre hospitalier: le docteur Hamadi Karra a suivi de près la révolution tunisienne. Et a mal vécu les choix de la France aux premières heures.

    Entretien

    Quelles sont vos impressions sur ce qui se passe en Tunisie ?

    Content qu'un dictateur soit parti. Tout le monde est content qu'il soit parti ! Au début, c'était les étudiants et les syndicalistes qui ont manifesté. Et puis, au regard de la réaction violente du gouvernement et des polices de Ben Ali, presque toute la population est sortie dans les rues. Au début, on s'est beaucoup inquiétés pour nos proches. Car quand Ben Ali est parti, il a envoyé ses milices pour inquiéter la population, dans l'espoir que les gens le réclament et qu'il puisse revenir en sauveur. Il ne s'est pas rendu compte que le peuple ne voulait plus de lui... Toutes les informations, les images ont circulé sur internet, il n'a pas pu contrôler ça.

    Avant, quelle était la situation ?

    Le parti de Ben Ali, le RCD (le Rassemblement démocratique constitutionnel), a terrorisé la population. C'était un système de mafia : pour avoir un passeport, un visa de construction, il fallait être membre du RCD... Les gens qui avaient suivi des formations, acquis des compétences ne pouvaient pas obtenir un poste de qualité s'ils n'étaient pas membres du RCD, complices du pouvoir. Quand on se faisait arrêter par un policier, c'était soit un PV, soit des dinars, soit de la nourriture. Il y avait de la corruption partout, surtout avec la famille de Ben Ali.

    Comment avez-vous réagi aux premiers propos des ministres français ?

    J'ai été choqué par la réaction de la France... Le peuple aurait aimé avoir le soutien de la France, ce qui n'était pas le cas au début. J'étais révolté ! Sur Facebook, on a lu des messages très hostiles à la France, alors que les Tunisiens y sont très attachés. Bien sûr, pendant la dictature de Ben Ali, la France a accueilli les opposants au régime. C'est bien. Mais les propos au moment de la révolution ont beaucoup choqué. Cela a mis nos amis dans une situation de faiblesse.

    Quels sont les liens entre la France et la Tunisie ?

    D'abord, il y a 50 000 Franco-Tunisiens en Tunisie. La majorité des Tunisiens connaissent le français. Beaucoup de Français vont en vacances en Tunisie. Beaucoup d'industries françaises ont des usines en Tunisie, surtout à Sfax (2e ville du pays, NDLR), ma ville d'origine : 1 million d'habitants, surtout des ouvriers. Là-bas, les gens regardent les télévisions françaises, lisent les journaux français, viennent se former en France... Mais la France a fermé le centre culturel et l'ambassade à Sfax. Dans le même temps, les États-Unis ont ouvert une école anglophone, un centre culturel. Et ils ont soutenu la révolution, ils ont été à l'écoute du peuple... L'anglais est de plus en plus présent.

    Quels sont vos espoirs, désormais ?

    On regarde vers l'avenir. Je ne crois pas à un développement des Islamistes, notre pays a son histoire, une constitution qui défend la liberté des femmes par exemple, depuis longtemps. Les islamistes ont bien une base populaire, mais pas si large qu'on le dit. Il y a toujours un risque de dictature après une révolution, mais je crois qu'on est partis pour une vraie démocratie. Cela va mettre du temps. Aujourd'hui, il y a des gens compétents, qui ont de l'expérience, il faut les laisser travailler pour l'instant, même s'ils ont été un peu complices du pouvoir. Par contre, ceux qui ont les mains sales ou pleines de sang, il faut absolument qu'ils cessent tout exercice politique. Il faut que la France se rattrape, et aide la Tunisie sur ce chemin : une démocratie sera plus bénéfique qu'une dictature, pour les deux pays.

     


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